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« futur. » Une autre fois il se déclara pour une espèce de métempsycose (voy. Hasse, Derniers entretiens de Kant, p. 28, 29). Et dira-t-on encore que la raison éclairée suffit à tous les besoins de l’homme droit qui cherche sincèrement et ardemment la vérité sur les grands problèmes de la vie, lorsqu’on voit le penseur le plus profond que nous fasse connaître l’histoire de l’esprit humain, doué de toutes les qualités, et animé de tous les sentiments qui disposent l’âme à s’ouvrir aux lumières de la religion naturelle, après avoir passé sa vie et employé, dans le calme des passions, dans l’absence de tout souci, les ressources du plus puissant génie à chercher de nouveaux appuis aux doctrines de la religion, hésiter, se contredire, varier sur ses points les plus importants, dans les épanchements de l’amitié où la pensée se dévoile avec le plus de franchise ? 6e Principes métaphysiques de la science du droit, 1796, in-8o. Ayant établi l’existence et la légitimité des devoirs absolus que la raison pratique prescrit à la volonté, en lui commandant de réaliser la forme de la raison pure, Kant en fait découler des droits, et en premier lieu, celui de n’être jamais contraint à violer ces devoirs, ou empêché de leur obéir. La première loi pratique de la raison étant « que tout être raisonnable est à lui-même son propre but, et ne doit, en aucune rencontre, servir de simple moyen à la volonté arbitraire d’un autre, » il s’ensuit que l’homme ne peut aliéner sa liberté, ni attenter à celle des autres. Les Eléments métaphysiques du droit font un corps d’ouvrage avec les Principes de la théorie de la vertu, qui en sont la suite. Moins riche peut-être en vues originales et profondes que les autres grands ouvrages de Kant, son Exposé de la science du droit est remarquable par des digressions intéressantes sur des questions de législation et de haute politique, il examine si l’on peut concevoir un état de choses tellement en opposition avec les buts essentiels de l’ordre social, qu’il pourrait motiver une insurrection au tribunal d’une raison éclairée et il nie qu’il puisse rencontrer une circonstance qui justifie l’auteur d’une révolution. Son opinion se fonde principalement sur l’intérêt de la civilisation. Mais si l’on doit obéissance et fidélité au gouvernement aussi longtemps qu’il sait se faire respecter, les motifs mêmes qui prononcent la condamnation de toute maxime révolutionnaire imposent aux citoyens la sainte obligation de tirer, pour les intérêts dé la patrie et de l’humanité, le meilleur parti possible de la révolution que le crime ou la faiblesse ont opérée. Kant suivait avec un extrême intérêt les phases de la révolution française, et avait une haute idée des améliorations dans l’organisation civile qu’il croyait qu’elle amènerait ; mais personne n’a parlé avec plus d’indignation de ses excès. Le traité dont il s’agit offre sur la mort de Louis XVI une page qui surpasse peut-être en énergie et en effet tout ce que cet attentat a inspiré de plus

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éloquent aux âmes honnêtes. 7e Essai philosophique sur la paix perpétuelle, Kœnigsberg, 1795, in-8o. Ce traité n’a rien qui ressemble aux conseils et aux rêveries du bon abbé de St-Pierre. Kant n’attend rien de l’influence de la raison, mais tout de la force des choses. S’élevant à des régions d’où il embrasse l’ensemble des rapports actuels entre les nations et les individus, il découvre et signale les faits ou les besoins qui doivent amener graduellement les peuples à sortir de l’état d’inquiétude barbare et destructrice en pure perte où ils se trouvent aujourd’hui, de même que rétablissement des institutions sociales s’est formé de la réunion des familles, lorsqu’elles renoncèrent à l’état de nature pour se garantir mutuellement la sécurité des personnes et des propriétés, par la création d’une autorité centrale, appuyée d’une force irrésistible. Il règne dans cet écrit un ton de naïveté maligne, auquel la hauteur des vues et la sagacité des aperçus donnent un caractère et un charme tout particuliers. Ce même mélange de finesse, d’enjouement et de sévère pureté dans la tendance générale qui rendait la conversation de Kant aussi piquante qu’instructive, se fait aussi remarquer dans le dernier des écrits qu’il a publiés lui-même ; il est intitulé : 8e Essai d’anthropologie, rédigé dans des vues pragmatiques (c’est-à-dire d’application aux besoins de la vie), ibid, in-8o. Cet ouvrage, plein d’observations fines et d’aperçus ingénieux, considère la nature humaine dans les modifications que les différences d’âge, de sexe, de tempérament, de race, d’organisation sociale, de climat, etc., apportent à l’exercice et à la culture de ses facultés primitives. Kant s’y montre aussi grand connaisseur des hommes qu’il s’est montré profond investigateur de l’homme dans ses écrits métaphysiques. Ce traité, joint à sa Géographie physique, prouve qu’il avait donné à l’étude de l’homme in concreto autant de soins qu’à celui de l’homme in abstracto. Dans le tableau comparatif des qualités qui distinguent les principales nations de l’Europe, on est surpris de voir la nation française traitée avec une sorte de prédilection, et bien plus favorablement que les Anglais, parmi lesquels il comptait plusieurs de ses plus anciens et de ses meilleurs amis. Dans la préface de l’Anthropologie, Kant fit ses adieux au public ; et, peu de temps après, il remit à MM. Jaesche et Rînk, ses disciples et ses amis, tous ses manuscrits, en leur abandonnant le soin de mettre au jour ce qu’ils y trouveraient d’utile. Le premier en tira un Manuel pour l’enseignement de la logique, 1801 ; le dernier, un Traité de l’éducation, qui a paru en 1803, sous le titre de Pédagogique, et le Précis de géographie physique dont nous avons fait mention, publié à Kœnigsberg (1802, en 2 volumes in-8o), dans le but de faire tomber un ouvrage donné sous le même titre à Hambourg, en sept volumes, par J. J. W. Wollmer, et rédigé sur des notes prises dans les leçons de Kant. Ce but ne fut point rempli : l’édi-