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injures et par des pierres le prince et ses soldats. On s’approchait d’eux pour couper les crins de la queue des chevaux. Avant de se retirer, au moment où il en avait reçu l’ordre, le prince, pensant qu’il pourrait être poursuivi, fit avancer ses cavaliers vers le pont tournant, et lui-même, voyant venir un autre flot de peuple qui arrivait du Palais-Royal en proférant des cris, entra dans les Tuileries, mais sans frapper ; la multitude repoussée se sauva de toutes parts, et le prince, après avoir traversé au pas une foule d’enfants de collége, en bas âge, qui revenaient de leur promenade aux Champs-Élysées (il leur faisait signe de n’avoir pas peur ; un vieillard seulement fut renversé par la foule, mais il n’eut pas de blessure), put reprendre le chemin du camp formé près de Paris. Lorsqu’il était déjà à la hauteur des Champs-Élysées, les gardes-françaises survinrent sans leurs officiers sur la place Louis XV, et résolurent d’y établir des bivouacs. Dès ce moment la révolution fut commencée, et la cour ordonna le renvoi de l’armée, dont une partie occupait le Champ de Mars. Le 14 juillet, après la prise de la Bastille, le prince fut mis en accusation. Mais, traduit plus tard devant le Châtelet, il fut absous. Ayant émigré avec tout son régiment au commencement de 1792, il accepta du service en Autriche, où il obtint le grade de feld-maréchal-lieutenant, et il devint capitaine des gardes d’Arcières allemandes. Le 20 mai 1805 il se maria avec la comtesse Anne de Cetter, dont il resta veuf le 5 janvier 1814 ; et le 25 janvier 1816 il épousa en secondes noces Marie-Victoire, née comtesse Folliot de Grenneville, veuve de François de Paul, comte de Collorédo-Walsée. La vie du prince de Lambesc, appelé aussi alors duc Charles de Lorraine, était très-retirée, quand une circonstance le força de sortir, en 1817, de sa retraite accoutumée. On a vu qu’en 1777 il avait été nommé chevalier des ordres du roi, mais il paraît que, lors du mariage de Napoléon avec Marie-Louise (M. de Metternich n’était pas encore ministre dirigeant), le prince de Lambesc avait renvoyé à Hartwell les insignes du cordon bleu. Cette démarche, dont peut-être il n’avait pas pu se dispenser dans l’état de dépendance où il vivait à Vienne, mais qui n’en était pas moins offensante, avait singulièrement déplu à Louis XVIII, qui cependant ne manifesta pas de ressentiment et se contenta de ne point répondre. Sa magnanimité à cet égard avait même été telle, que dans l’Almanach royal de 1814-15 (on ne publia qu’un seul almanach pour ces deux années) le prince de Lambesc est placé, dans l’article qui mentionne les chevaliers des ordres, à son rang de nomination en 1777. Depuis, l’empereur François Ier et son fils avaient été revêtus des mêmes ordres, et seuls ils portaient cette décoration. Le prince de Lambesc se décida à faire une visite au chargé d’alaires du roi de France à Vienne, pour le prier de demander qu’il fut permis à un chevalier qui se repentait de sa faiblesse de reprendre l’honorable décoration ; ce qui n’était pas possible, à moins qu’on n’obtînt une permission du roi. Il eût été facile, sans faire de bruit, d’acheter à Paris une croix d’or à huit pointes pommetées d’or, émaillée de blanc sur les huit pointes et anglée de fleurs de lis, au milieu de laquelle est figurée une colombe, les ailes déployées, en émail d’un côté et portant de l’autre l’image de St-Michel, or et émail. « Avec cela, disait au prince de Lorraine un fou de Français au service de Vienne, faites acheter deux aunes de cordon bleu, rue aux Fers, à Paris, et vous en verrez l’affaire. » Mais il existait une grande difficulté. Le collier de l’ordre du St-Esprit n’était plus en la possession du prince, qui l’avait renvoyé. Il n’y avait en 1789 qu’à peu près cent de ces colliers qui étaient toujours les mêmes. À chaque extinction, le collier était rendu et donné à un nouveau chevalier. On ne pouvait pas en fabriquer à Vienne. Il est composé de fleurs de lis et de trophées d’armes en or, d’où naissent des flammes et des bouillons de feu, et de la lettre H couronnée, en mémoire de Henri III, fondateur. Le tout pèse à peu près quatre marcs. L’histoire de chaque collier est connue, et l’on ne peut porter (on en a fait le serment) que le collier qu’on a reçu. Il est vrai que beaucoup de ces colliers n’avaient pas été rendus depuis la révolution, et que d’autres étaient dispersés ou détruits. Il s’engagea une longue conversation entre le prince et le chargé d’affaires du roi. Le prince paraissait craindre que, dans la position où se trouvait Louis XVIII vis-à-vis de quelques intérêts révolutionnaires, le gouvernement ne voulût s’abstenir de parler en rien du commandant de Royal-Allemand, à qui l’on avait fait une si mauvaise réputation lors des scènes de la place Louis XV. Il se trouva que l’agent du roi était un de ces enfants qui avaient été témoins de l’événement, et qu’il avait tout vu de ses propres yeux. Le prince entendit ce témoignage avec une grande joie, et pria qu’incidemment, en rendant compte de la conversation et de la demande, on ajoutât le récit de cette partie des faits de la soirée du 12 juillet. Il n’y avait là qu’un hommage à rendre à la vérité. Le gouvernement, qui avait continué depuis trois ans de comprendre le prince de Lambesc au nombre des chevaliers des ordres, ne pouvait refuser une grâce nouvelle qui ne dépendait que du roi seul. Un grave manquement avait été commis. L’acte de clémence fut complet : mais les détails relatifs à la calomnie ne transpirèrent pas assez. Heureusement il n’est pas trop tard pour les signaler. Le prince de Lambesc est mort le 21 novembre 1825. On a remarqué qu’il possédait une écriture si belle et si élégante qu’elle pouvait faire la fortune d’un homme qui aurait eu besoin de ce talent pour exister.

A-d.


LAMBILLOTE (le R. P. Louis), de la compagnie de Jésus, compositeur et écrivain musical émi-