Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/216

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celles qui s’étaient consacrées à la défense de la monarchie des Bourbons. Michaud était l’âme de cette opposition, et l’on ne peut nier qu’il n’y ait mis de l’énergie et du courage. On distingue quatre phases dans l’existence de cette feuille, depuis la deuxième restauration jusqu’à la révolution de juillet : 1o  les quatre ans et demi jusqu’à la chute du ministère Decazes (pendant les deux tiers de cet intervalle, la Quotidienne dut être et fut fort opposée à la marche du gouvernement) ; 2o  les trois ans jusqu’à la guerre d’Espagne et jusqu’à l’ordonnance d’Andujar, la Quotidienne, au contraire, ou fut d’accord avec les divers ministères ou, si elle se montra plus avancée dans le sens royaliste, n’en vint pas à une rupture complète (c’est alors qu’il fut nommé lecteur du roi aux appointements de 3,000 francs, avec dispense expresse de jamais remplir ses fonctions) ; 3o  les quatre années qui suivirent, c’est-à-dire jusqu’à la chute du ministère Villèie, la Quotidienne fut une des feuilles qui firent la guerre la plus vive et la plus funeste au président du conseil ; 4o  enfin les trois dernières années de Charles X. C’est pendant la troisième peut-être que l’animosité contre la Quotidienne monta au point le plus élevé. Dès 1819, cependant, elle avait été comprise dans un grand plan de suppression ou d’achat des journaux gênants. On en offrit cinq cent mille francs aux propriétaires du journal et notamment à Michaud, qui n’accepta point. « Monseigneur, répondit-il à l’excellence qui le sollicitait,-il n’y aurait qu’une chose pour laquelle je pourrais être tenté de vendre la Quotidienne, ce serait un peu de santé. Si vous pouviez m’en donner, je me laisserais corrompre. » On ne saurait douter que le ministère Villèie ne soit revenu plus d’une fois à la charge ; et quand enfin, par suite de l’affaiblissement toujours croissant de sa santé, Michaud, sexagénaire, se défit de la plus grande partie de ses actions à la Quotidienne, ce fut pour les céder à un autre lui-même, à M. de Laurentie. Tout en s’occupant beaucoup de la Quotidienne, il avait trouvé le temps de participer au recueil des Lettres champenoises, qui parurent de 1817 à 1824, et il avait achevé son Histoire des croisades, dont il fit paraître le tome 3 en 1817, les tomes 4 et S en 1822, avec la Bibliothèque des croisades. Mais, quoique l’ouvrage se fut débité avec assez de rapidité pour qu’il pût se faire beaucoup d’illusions, l’auteur eut le mérite de comprendre qu’il fallait au moins le retoucher profondément. Deux causes au reste y contribuèrent. D’abord beaucoup de ses lecteurs ecclésiastiques et royalistes s’étaient plaints de ce que trop souyent, malgré son but bien évident de revenir sur les jugements exagérés et tranchants des adeptes de la philosophie au 18e siècle, il eût accumulé dans les détails des épithètes, des appréciations voltairiennes. Ensuite, bien des trésors qui étaient restés ignorés de Mjchauçl, ou dont il avait mé MIC

connu l’importance tandis qu’il écrivait, se révélèrent à lui quand il recueillit de la main de collaborateurs spéciaux et habiles, particulièrement de M. Reinaud, son confrère à l’Institut, les matériaux de sa Bibliographie des croisades. Tout préoccupé aussi du mérite littéraire et poétique, et frappé de la couleur locale de Scott plus qu’il ne convient à un historien de se laisser éblouir par les charmes d’un ouvrage d’imagination, importuné peut-être d’entendre répéter qu’il y avait plus de vérité dans les tableaux des romans de madame Cottin que dans les récits de son Histoire ; importuné aussi du mérite descriptif, bien autrement frappant, de l’Itinéraire de Paris à Jérusalem et des Martyrs, il se laissa mettre en tête que, pour refondre son ouvrage et lui donner ce qui lui manquait, la première et la grande condition était de voir la terre sainte. Malheureusement ce n’est pas à soixante ans qu’il faut aller chercher des impressions pour les faire partager aux autres. Sans contredit, les organisations intellectuelles vigoureuses peuvent encore à cet âge gagner en idées, en puissance rationnelle, en vigueur des facultés comparatives mais il est irrévocablement passé l’âge où l’on sent et où l’on force autrui à sentir. Si vingt-cinq ans auparavant, au temps de madame Cottin et surtout en compagnie de madame Cottin, Michaud eût été voir cette terre et le ciel d’Orient, si pittoresques déjà matériellement et si chargés de souvenirs, à la bonne heure ; mais en 1829, il était trop tard. Cependant Michaud était trop bien_placé dans le monde littéraire et royaliste, pour que tout ce qui se rapportait à un remaniement de ses Croisades n’eût certain retentissement et ne reçût un favorable accueil. Le roi Charles X sourit lui-même à ce projet de pèlerinage, et lui fît donner vingt-cinq mille francs pour l’effectuer. Il partit au commencement de 1830, ne se doutant pas qu’au retour il trouverait la branche cadette des Bourbons sur le trône à la place de la branche aînée. Tandis qu’il allait chercher en Orient le reflet des événements du passé, c’est en Occident qu’avaient lieu les soudaines catastrophes, les brusques révolutions qui menacèrent de bouleverser l’Europe. S’il sentit des impressions à l’aspect de Jérusalem, ce durent être bien moins celles de la ville sainte que celles qui lui arrivaient de France. Pour comble de chagrin, il perdit alors la plus grande partie de sa fortune deux cent mille francs), qu’il avait confiée trop légèrement à des mains peu sûres. Toutefois, il lui restait toujours à peu près le nécessaire, et il n’aurait eu aucun besoin de travailler pour avoir une existence honorable et aisée, si diverses personnes qui l’entouraient n’eussent considérablement accru les frais de sa maison, C’est à leur instigation sans doute qu’en dépit de ses projets il fit, de sa nouvelle édition des Croisades, une affaire plus mercantile que littéraire, mais qui en définitive fut peu productive pour lui et sans