Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/217

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avantage pour le perfectionnement de l’ouvrage. C’est aussi dans ce temps-là-que, par des motifs à peu près pareils, il décora de son nom une réimpression de l’ouvrage du président Hénault, suivie d’une continuation de ce livre depuis la mort de Louis XIV jusqu’à la révolution de 1830, et qu’il fit le même honneur à une Collection de mémoires pour servir à l’Histoire de France, en volumes grand in-8o, dans laquelle nous savons par son propre aveu que sa part de travail fut à peu près nulle. Il faut avouer qu’à cette époque Michaud n’était plus que l’ombre de lui-même : sa santé de plus en plus déplorable l’avait réduit à ne plus paraître aux séances de l’Académie française, et il passait des mois entiers sans écrire un seul mot, ce qui n’empêcha pas qu’il fût nommé, en 1837, membre de l’Académie des inscriptions. En ce moment les médecins vantaient au pauvre malade les eaux de Pise : Michaud partit pour l’Italie, accompagné de sa femme et de M. Poujoulat, qui déjà l’avait suivi en Orient et qui depuis huit ans n’avait cessé de s’associer à ses travaux, à ses projets et à son nom. Ce voyage procura quelque soulagement à Michaud, et probablement il eût pu vivre assez longtemps au doux soleil d’Italie. Il n’avait pas besoin à cet effet de rester en Toscane : les États sardes lui étaient ouverts ; le roi Charles-Albert, qui déjà l’avait nommé chevalier de son ordre du Mérite civil (ordre réservé aux Sardes seuls), qui était jaloux avec raison de revendiquer pour son royaume la célébrité d’un homme né son sujet, de parents fort honorables (1)[1] et qui avait reçu Michaud, à Gênes, de la façon la plus gracieuse lorsqu’il se rendait à Pisé, avait daigné lui dire : « Vous allez chercher bien loin la santé ; mais nous avons ici, à une lieue de Gênes, à Pelli, des eaux qui ont toutes les vertus de celles de Pise. » Puis, en le laissant partir, il avait ajouté ces paroles si affectueuses : « J’espère qu’à votre retour, vous me dédommagerez à Turin. » Non-seulement ce langage si fait pour séduire ne put persuader à Michaud de s’arrêter à Pelli, il ne sembla pas même se souvenir qu’en revenant il devait passer par Turin. Par des motifs que nous ne pouvons apprécier, on lui fit entreprendre un voyage beaucoup plus pénible que n’eût été celui du Piémont. Il traversa les

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Apennins au milieu de l’hiver et se rendit à Rome, où il fut présenté au pape qui le reçut très bien. Mais sa santé allait toujours déclinant, et il avait peu fait pour la rétablir. A peine avait-il eu le temps de prendre quelques bains de Pise, lorsqu’on le ramena de la Péninsule par le même chemin qu’il y était allé. Cette fois, il ne s’arrêta pas même à Gênes, et vint droit à Passy, où il avait fixé depuis longtemps son habitation. Il ne tarda point à s’y éteindre. Sa mort eut lieu le 30 septembre 1839. Ses restes reposent dans le cimetière de Passy, où un monument lui a été élevé par une souscription. Il ne laissait point d’enfants d’un mariage qu’il avait contracté à l’âge de quarante-deux ans. Sa femme, qui en avait alors à peine seize, lui a survécu et s’est remariée en 1842. Michaud était renommé parmi tous les hommes d’esprit pour le talent de causer, On lui prête une infinité de mots heureux et piquants. Cependant les mots heureux dont on lui fait honneur n’ont pas toujours la vivacité, la vigueur qui rappellent l’auteur de Candide ou celui du Petit dictionnaire des grands hommes. Il avait quelque chose de fin, de littéraire, de parfaitement académique, mais aussi quelque chose de pâle et d’indécis ; l’énergie vraie et simple, cette énergie manquait à sa conversation comme à ses écrits. Nous pensons au reste que ces dérogations à ce qui était sa nature véritable provenaient souvent de ses entours et des idées qu’il entendait sans cesse émettre par eux, et contre lesquelles ne réagissait point son caractère. De là l’empire trop complet qu’il laissa prendre aux gens dont il s’était entouré, et qui pour la plupart en politique et en morale pensaient et agissaient tout autrement que lui. Et cette apparente abnégation, ce laissèr-aller qu’aucuns ont appelé bourbonien, amena autour de lui, sous la restauration, une foule de gens qui l’encensaient pour utiliser en leur faveur son crédit auprès du gouvernement et sa toute-puissance à la Quotidienne. Il redoutait les hommes francs et qui ont une valeur par eux-mêmes, ne les admettant qu’en apparence à l’intimité ; et jamais, quoiqu’il aimât à être nommé le la Fontaine du journalisme, il ne pensait à la seconde fable du bonhomme. Il était bien bas déjà quand un de ceux qui s’étaient le plus prosternés devant son génie se met à dire à l’un des visiteurs admis auprès de lui pour la dernière fois : « Avec sa faiblesse, pas une trace d’affaiblissement intellectuel ; toute jours la même facilité d’expression, toujours la même lucidité… » Ces mots réveillent Michaud ; il s’agite, se dresse sur son séant : « Oui ! oui ! toujours le même, toujours !… » dit-il d’une voix défaillante, et il retombe sur l’oreiller. Cet effort avait augmenté sa faiblesse ; ce furent ses dernières paroles. — On a de Michaud : 1° en fait d’œuvres poétiques : 1. le Printemps d’un proscrit (en 6 chants) ; 2° l’Enlèvement de Proserpine (en 3 chants) ; 3. et 4. le Fragment d’un trei-

  1. (1) C’est donc par une étrange méprise que M. Poujoulat, dans une lettre qui fut insérée dans la Quotidienne du 22 décembre racontant la réception si bienveillante faite à Michaud, sembla vouloir repousser la prétention du roi sarde, en disant que l’auteur des Croisades était né en Savoie, mais de parents français ! Cette erreur fut relevée dès le lendemain par M. Michaud jeune, qu’elle intéressait comme son aîné. On pensa que celui-ci saisirait avec plaisir cette occasion de réparer une inconvenance qui n’était pas son fait ; mais depuis longtemps Michaud l’aîné n’appartenait plus à sa famille, et il ne s’appartenait guère à lui-même. Aigri par l’âge, la maladie et d’autres causes encore, il se montra fort irrité de la réclamation de son frère, qui cependant était faite dans les termes les plus mesurés et les plus affectueux. Plusieurs mois après, il disait encore à sa belle-sœur, à la femme de son frère, qui s’efforçait de le faire revenir d’un pareil travers, qu’on devait lui laisser le soin d’expliguer lui-même son origine.