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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/621

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quelques mémoires sur le calcul intégral. Monge venait passer tous les ans le temps des vacances à Paris, au milieu des hommes qui tenaient le premier rang dans les sciences. Déjà correspondant de l’Académie, aux honneurs de laquelle il devait prétendre, il trouva des patrons actifs dans Lavoisier, Condorcet, le vertueux la Rochefoucauld et le président Bochart de Saron. D’Alembert, qui avait encore présents les obstacles qui entravent le mérite sans appui, mit surtout un empressement très-vif à faire valoir un savant qui paraissait s’ignorer lui-même, et il lui procura le titre de membre de l’Académie des sciences en 1780. La même année, Monge fut adjoint à Bossut, nommé professeur du cours d’hydrodynamique établi au Louvre par Turgot. Les intervalles de ses leçons furent consacrés à initier dans les hautes mathématiques des élèves d’élite, entre autres Lacroix et Gay de Vernon, auteur d’un Traité de géométrie descriptive appliquée à l’art militaire. Cette géométrie, Monge leur en dérobait alors les théories avec regret. « Tout ce que je fais ici parle calcul, leur disait-il, je pourrais l’exécuter avec la règle et le compas ; mais il ne m’est pas permis de vous révéler ces secrets. » Pour satisfaire à ses doubles fonctions, il fut obligé d’alterner entre Paris et Mézières. La place d’examinateur de la marine, à laquelle il fut nommé après la mort de Bezout, l’enleva en 1783 à cette dernière école, où il avait préparé pour les sciences les Meusnier, les Tinseau, les Carnot, les Coulomb, et où il réussit enfin à faire adopter par son influence récente les théories indiquées par M. Ferry, son élève, pour le perfectionnement des tracés de charpente. Le maréchal de Castries le pressa de refaire les Éléments de Bezout, longtemps recommandés par leur clarté, mais prolixes, peu rigoureux et en arrière des nouvelles acquisitions de la science. Monge refusa de dépouiller ces écrits de leur caractère classique, et de frustrer ainsi la veuve de Bezout du seul moyen de subsistance qu’elle eût conservé. Il consentit seulement à composer pour les élèves de la marine un traité de statique. Borda en avait prescrit le cadre, et, pour se conformer à ses instructions, Monge procéda par la synthèse et écarta les équations. Par là son livre rendit les principes plus accessibles, en se relâchant de la rigueur des démonstrations, et le mérite d’une exposition simple et facile l’a fait comprendre parmi les ouvrages destinés aux aspirants de l'école polytechnique. La conception de ce traité guida Monge vers des idées mères sur les machines, idées qu’il a négligé de développer, mais qui fructifièrent dans la tête du jeune Prony, dont il cultiva par des soins assidus les heureuses dispositions. Le lycée de Paris, fondation qui avait pour objet de déguiser l’instruction sous des formes agréables pour une centaine d’amateurs oisifs, venait d’accueillir les sciences dans son sein. La chaire de physique fut confiée à Monge. À des auditeurs aussi frivoles il eût fallu un Fontenelle : si Monge ne le rappela pas, du moins il sut donner de l’attrait à ses leçons par des aperçus piquants, par des rapprochements ingénieux, indépendants des grâces du langage. Des détails tirés de la vie commune, des observations sur les objets qui nous frappent à tous les instants et qui par là même échappent à l’attention ordinaire, des opérations surprises dans les ateliers et développées avec une admiration réfléchie, prenaient un intérêt varié dans la bouche d’un homme accoutumé à passer continuellement de la sphère des abstractions à la contemplation des objets sensibles, et que les plus légères particularités ne trouvaient point indifférent. Il ne le fut point aux promesses de la révolution française. Adoptant les espérances de perfectibilité qui étaient dans toutes les têtes, il crut surtout voir tomber les barrières qui arrêtaient l’émulation, et les talents prendre sans effort le rang qui leur était dû. Les terribles épreuves qui se succédèrent sous ses yeux dissipèrent imparfaitement ses illusions. Porté au ministère de la marine après la journée du 10 août 1792, dans laquelle s’écroula le trône, il accepta ces fonctions, déterminé, disait-il, par la présence des Prussiens sur le sol français ; il fit ainsi partie du gouvernement que formèrent alors les ministres sous la dénomination de conseil exécutif, et ce fut en cette qualité qu’il concourut avec ses collègues à faire exécuter le jugement qui condamnait Louis XVI à mort. C’était une des obligations de sa place, et l’on sait qu’il a vivement regretté dans la suite cette participation à ce funeste événement. Si l’on recherche ses actes personnels, on le voit communiquer aux ports une nouvelle activité, sauver son prédécesseur Dubouchage en lui conférant un grade, et vaincre par ses instances la résistance de Borda, qui se refusait à continuer ses services. Monge chercha à retenir au service, en faisant appel à leur patriotisme, les employés et les officiers qui refusaient de se soumettre aux lois de la convention. Sa tâche fut d’autant plus difficile que presque tous les employés supérieurs du ministère quittèrent l’administration centrale en même temps que le ministre auquel il succédait. Il donna à tous les services une vive impulsion, arrêta la désorganisation qui menaçait la marine, composa un nouveau corps d’officiers, poussa activement les armements, augmenta les approvisionnements et sut rendre efficace le concours de la marine contre les ennemis intérieurs et extérieurs du pays. Toutefois il ne tarda pas à reconnaître que la partie n’était plus tenable au milieu de l’acharnement des factions, et il donna sa démission au mois d’avril 1793. Le comité de salut public fit quelque temps après un appel au savant pour concourir à la défense du territoire. 900 000 hommes étaient prêts pour repousser la croisade eu-