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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/622

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ropéenne qui menaçait la république ; mais les fabriques existantes ne pouvaient produire la dixième partie du matériel nécessaire à de si grands préparatifs. Il fallait multiplier les manufactures, décrire et simplifier les procédés, diriger les opérations des ateliers, décomposer d’innombrables alliages métalliques pour le besoin de l’artillerie, extraire le cuivre, créer l’acier qui manquait et tirer des seules ressources du sol une quantité prodigieuse de poudre. Les progrès de l’ennemi commandaient une célérité extraordinaire. Monge se livra tout entier à ces opérations.Mêlé aux savants qui dans un coin du comité de salut public concertaient leurs combinaisons, il se distinguait d’eux tous par une infatigable activité. Les manufactures d’armes, les fonderies, les poudrières l’appelaient tour à tour ; il surveillait leurs travaux intérieurs, en simplifiait l’exécution, passait les jours a donner des instructions sur la préparation du salpêtre, et il écrivait pendant les nuits son Art de fabriquer les canons, où, bien qu’il fût commandé par le temps, il consigna des détails extrêmement précieux pour les directeurs d’usines et les artistes, et où il jeta sur les différents états du fer des considérations générales qui ne sont pas indignes de l’attention des savants. Dans un Avis aux ouvriers sur sur la fabrication de l’acier, rédigé en 1794, in-4°, avec Vandermonde et Berthollet, il exposa les moyens d’obtenir l’acier en combinant le fer et un peu de charbon, et, grâce encore aux soins de ces trois physiciens, s’accomplit cette promesse qui paraissait téméraire : « On montrera la terre salpêtrée, et en trois jours on en chargera le canon. » Des services aussi éclatants ayant mis en honneur les savants sur lesquels se levait naguère la hache de la proscription, ils obtinrent après la chute de Robespierre une tardive protection pour l’instruction publique. L’école normale fut créée, et une lumière pure s’étendit sur l’exposition des vérités scientifiques. Monge eut le bonheur de mettre au jour sa Géométrie descriptive, si longtemps tenue secrète. En exposant cet ensemble ingénieux de méthodes, où les modifications de l’étendue sont développées et combinées à l’aide du dessin, cette langue imitative d’où se déduisent, par une description exacte, les vérités qui résultent des formes des corps et de leurs positions respectives, il s’étendit avec prédilection sur les avantages qu’il serait facile de retirer de sa doctrine pour la rectitude du jugement, pour le perfectionnement de la main-d’œuvre dans les arts, les jouissances de la société et la simplification des machines. De toutes les applications dont sa géométrie était susceptible, il n’a embrassé que cinq chefs d’opérations : la charpente, la coupe des pierres, le défilement, la perspective linéaire et aérienne, et la distribution de la lumière et des ombres. Il a laissé dans ses papiers, sur ces deux derniers objets, trois leçons intéressantes, qui n’ont été recueillies dans aucune édition de ses cours. Les méthodes qu’il n’a pas indiquées avec assez de détails ont été reprises et complétées par plusieurs de ses élèves, et d’autres ont abordé les questions importantes pour les arts, qu’il avait écartées comme trop compliquées pour l’enseignement. Ces élèves, qui se sont trouvés en grand nombre dignes de continuer l’œuvre de leur maître, ont fait partie de cette école polytechnique qui lui dut plus particulièrement son existence. Si Carnot, Prieur et Fourcroy, en qualité de membres de la convention nationale, prirent l’initiative des mesures législatives dont émana cette institution, s’il convient d’associer à leurs noms ceux de Berthollet et de Guyton-Morveau, à qui plus qu’à Monge appartint le système d’études qui fut adopté et dont le succès défia la mobilité rapide des créations révolutionnaires ? L’école polytechnique, véritablement digne de ce nom dans l’origine, n’était pas seulement une école centrale où les aspirants allaient puiser les principes généraux qui lient toutes les branches des services publics, et établissent une communication fraternelle, une transmission de pensées uniformes entre des classes que divisant la rivalité, elle s’ouvrait encore à tous ceux qui tendaient à éclairer par les conceptions de la science les arts manufacturiers exercés par une libre industrie. On a reproché quelquefois à cette institution de dépasser le but par la profondeur et l’étendue de son enseignement : on ne voulait pas voir que les élèves arrivaient munis d’une instruction préalable assez forte, qu’on avait tout arrangé pour les forcer à se former par leur propre travail, que la variété des études et les exercices manuels exigés d’eux concouraient à détendre leur pensée, à reposer leur imagination. Pour s’assurer que les professeurs s’étaient fait entendre à tous, que les conceptions avaient été généralement saisies, Monge donna l’idée de répartir les élèves en brigades, à la tête desquelles seraient préposés des sujets d’élite, destinés à servir d’intermédiaires entre les maîtres et la masse de leurs disciples, et faire descendre à la portée de ceux-ci les propositions qui leur auraient échappé. La première promotion de ces instructeurs secondaires fut fixée au nombre de vingt, choisis sur quatre cents élèves. Monge se chargea de les préparer à leur nouvelle destination, dont dépendait a mise en activité de l’école. Il les exerça sans relâche sur l’analyse et la géométrie, enflammant leur zèle, les suivant dans leurs laboratoires et guidant toutes leurs tentatives. Il ne se séparait d’eux qui la fin du jour, pour écrire les feuilles d’analyse qui devaient servir de texte à ses prochaines leçons, et, après quelques heures de sommeil, il reparaissait au milieu de ses enfants adoptifs. En trois mois ils furent en état de réaliser les plus belles espérances. longe s’éloigna de ce berceau florissant des travaux publics pour re-