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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/623

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cueillir en Italie, avec le sculpteur Moitte, le peintre Barthélemy, et MM. Berthollet, Thouín et Labillardière, ses collègues de l’Institut, les chefs-d’œuvre des arts dont la cession avait été stipulée par Bonaparte victorieux. Cette mission dura plus d’une année. Monge, par son expérience des procédés mécaniques, seconda singulièrement le zèle qui animait ses collègues pour la conservation et le déplacement des monuments conquis. Tandis qu’on accordait au souverain dépouillé la faculté de prendre des copies des originaux réservés pour la France, des moyens délicats furent employés pour restaurer des chefs-d’œuvre qui dépérissaient, négligés sous le ciel gui les avait vus éclore : on arracha aux injures es hommes et du temps, on rendit à leur fraîcheur première la Vierge de Folígno de Raphaël et son immortelle Transfiguration. Des échantillons des trois règnes de la nature, des manuscrits tirés du Vatican accompagnèrent les tributs levés sur les arts de l’Italie. Monge y ajouta la statue de Notre-Dame de Lorette et quelques autres dépouilles de la Santa Casa. Lorsque Paris célébra par une fête brillante l’apothéose des monuments qu’il recevait en dépôt, Monge était encore occupé à visiter l’Italie, et se rendait à l’invitation de Bonaparte, qui l’appelait auprès de lui. Ce général le chargea ensuite d’apporter au directoire, avec le général Berthier, le traité de Campo-Formio. Dans l’audience de réception, Monge prononça un discours auquel Bonaparte répondit de Milan une lettre de félicitations et de remerciements. Cependant, quelque étranger qu’il fût à la connaissance des affaires et des hommes, on le porta deux fois comme candidat au directoire. Comme il ne fut point élu, on l’envoya à Rome avec Daunou pour organiser une république. L’ouvrage de ces deux législateurs ne dura pas longtemps ; et il était à peine achevé que Bonaparte, qui faisait voile vers l’Égypte, emmenant une élite de savants et d’artistes dévoués à sa fortune, écrivit à Monge de mettre en mouvement les bâtiments de transport qui se trouvaient à Cività-Vecchia et de partir sans délai. Monge s’embarqua avec Desaix, et rejoignit l’armée à Malte (juin 1798). Il assista avec Berthollet et quelques autres savants à la victoire remportée Sar la flottille française sur celle des Mameluks, ont les troupes de terre étaient en même temps mises en fuite au village de Chebreisse. Pendant le trajet d’Alexandrie au Caire par le désert, il observa le phénomène d’optique connu sous le nom de mirage et qui ne se renouvelle nulle part avec un caractère aussi frappant que sous le climat brûlant de l’Égypte : à une heure avancée du jour, lorsque les soldats étaient dévorés par la soif, la plaine qui se déployait devant eux leur offrait apparence d’un lac peu éloigné. Ils couraient vers ces eaux salutaires ; mais là commençait le supplice de Tantale : l’image qui les avait séduits disparaissait et les laissait au milieu d’un espace aride. Monge, privé d’instruments, distrait par les embarras d’une marche pénible, décrivit le mirage, et lui assigna pour cause l’altération des densités de l’atmosphère, produite de bas en haut par la terre saturée de chaleur, de manière que les objets saillants, vus près de l’horizon, envoient parfois une double image, l’une directe, l’autre renversée, suivant que les courbes trajectoires présentées par la réfraction des rayons solaires se croiseront ou ne se croiseront pas. Monge porta deux fois son admiration au pied des pyramides ; il visita l’obélisque et les murailles d’Héliopolis, et tous les restes d’antiquités dispersés autour du Caire et d’Alexandrie. Il décrivit l’état du Mékias, puits construit dans l’île de Raoudah par le calife Al-Mamoun, pour mesurer les eaux du Nil. Ses souvenirs demeurèrent tellement empreints du grandiose de ces monuments que longtemps après il en parlait avec cette inspiration qui semble n’appartenir qu’à la présence des objets. L’école polytechnique avait fourni quarante-et-un de ses élèves à la colonie savante embarquée pour l’Égypte. Sous sa direction et celle de Berthollet et Fourier, ils exécutèrent la description géodésique et monumentale de cette merveilleuse contrée. Le général en chef ayant formé au Caire un institut sur le modèle de celui de France, Monge en accepta la présidence. La défaite navale d’Aboukir isola l’armée de toutes communications avec l’Europe. Les savants réunis au Caire eurent à faire face à des besoins bien plus multipliés que ceux dont la France avait présenté le spectacle en 1793 : là, en effet, il fallut créer, indépendamment des approvisionnements militaires, les ustensiles propres aux usages de la vie et aux opérations des arts. Les membres de l’Institut se partagèrent ces travaux, et l’examen de commissions tirées du même corps éclaire et facilita les tentatives individuelles. Le général Berthier écrivait au ministre de la guerre : « On ne parle pas des citoyens Monge et Berthollet ; ils sont partout, s’occupent de tout et sont les premiers moteurs de tout ce qui peut propager les sciences. » Le Caire s’étant révolté, l’Institut, qui contenait tous les résultats des travaux de l’expédition, se trouva quelque temps menacé, réduit qu’il était à une poignée de savants pour tous défenseurs. Monge et Berthollet (il devient difficile de les séparer) retinrent ceux qui voulaient se faire jour l'épée à la main jusqu’au quartier général ; tous restèrent fidèles à leur poste, et l’Égypte ne vit point un second exemple d’une perte déplorable pour l’esprit humain. Dans un voyage à Suez, entrepris avec Bonaparte, Monge reconnut les vestiges du canal qui communiquait de la mer Rouge par le Nil à la Méditerranée ; il visita les ruines de Péluse, et à deux lieues et demie de Suez, au débouché de la vallée de l’Égarement, par où l’on présume que les Hébreux se dirigèrent vers le mont Sinaï, il observa la fontaine de Moïse. Il