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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 28.djvu/624

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suivit encore Bonaparte en Syrie, et les soldats murmurèrent plus d’une fois, dans leur langage énergique, contre le vieux savant qu’ils croyaient l’auteur de l’expédition. Mais à ces explosions d’une humeur grossière succédait un sentiment d’affection pour l’homme distingué qui fraternisait avec eux, les encourageait et entrait en partage de leurs privations et de leurs fatigues. Monge fut atteint devant St-Jean-d’Acre d’une maladie dangereuse ; il eut la douleur de recueillir de sa tente les derniers soupirs de son élève, le général Caffarelli (voy. Caffarelli). De retour en Europe avec Bonaparte, il présida la commission des sciences et des arts d’Égypte, revenue plus tard en France, et, sous ses auspices, furent coordonnés les Mémoires où se déroule en grande partie le tableau de l’Égypte, telle que ses antiquités témoignent qu’elle fut sous ses Pharaons et ses Ptolémées, et telle que l’a faite l’influence du mahométisme : magnifique entreprise où les souvenirs poétiques, les recherches et les conjectures de l’érudition et les connaissances positives empruntent un nouveau lustre des arts, leurs inséparables auxiliaires. Monge redevint le père de l’école polytechnique en reprenant sa place parmi les professeurs. Il défendit souvent contre les préventions de Bonaparte une jeunesse généreuse qui importunant l’instinct despotique du souverain ; mais il ne put empêcher que l’école ne fût assujettie au casernement et à la discipline militaire, ni qu’elle ne fût fermée à la capacité sans fortune. Cinq fois il revint à la charge auprès de l’inflexible empereur pour écarter une résolution funeste ; vainement il représenta avec force combien l’ancienne monarchie se montrait plus libérale pour ses institutions : il ne fut point écouté. Du moins il chercha des consolations en abandonnant son traitement de professeur, et ensuite sa pension de retraite, aux élèves que la fortune n’avait point favorisés. Bonaparte, attentif à réveiller les souvenirs d’une ancienne amitié qui dans Monge s’était transformée en engouement invincible pour son héros, avait réussi à triompher de la longue abnégation de ce savant et l’avait comblé d’honneurs. Nommé membre du sénat dès la première formation de ce corps, Monge fut pourvu de la sénatorerie de Liège avec le titre de comte de Péluse, reçut le grade de grand officier de la Légion d’honneur et de la Réunion, et, sur la fin de sa carrière, un don de deux cents mille francs. Le désastre de Moscou lui causa une affliction profonde : son imagination, accoutumée à s’exalter aux récits de notre gloire militaire, se sentit affaissée. Envoyé dans sa sénatorerie pour rendre des mesures extraordinaires, il y accueillit la division Macdonald qui revenait dans un état de dénuement absolu, et il fit en sa faveur le sacrifice d’une somme de douze mille francs qu’il venait de recevoir. L’amertume que lui laissa la chute de Bonaparte s’augmenta par la dislocation de l’école polytechnique, et par le bannissement des conventionnels qui avaient envoyé Louis XVI à la mort, mesure qui frappait M. Eschasseriaux, l’un de ses gendres. Sa radiation de l’Institut, par suite des épurations de 1816 (voy. Maury), porta le dernier coup à sa sensibilité. Des attaques répétées d’apoplexie avaient ébranlé, à chacune de ces secousses, son tempérament encore robuste. L’oblitération de ses idées et tous les symptômes d’un déclin rapide annoncèrent à ses amis que sa mort anticipée avait commencé. Il cessa de vivre le 28 juillet 1818. Berthollet fit entendre sur sa tombe les regrets d’une amitié de cinquante ans. M. Dupin a publié un Essai historique sur les services et les travaux scientifiques de Monge, Paris, 1819, in-4° et in-8°, et il a prononcé son Éloge le 2 septembre 1849, imprimé la même année, in-4°. F. Arago a donné de son côté une Biographie de Monge, Paris, 1853, in-4°. Il avait, la même année, prononcé son éloge à l’Académie des sciences. Il existe encore des notices sur Monge par M. J. Paulet, 1838, in-8° ; et par Walckenaer, Notice historique sur la vie et les ouvrages de Monge, Paris, 1849, in-8°. Voyez enfin Souvenirs de G. Mange et ses rapports avec Napoléon, suivi d’un appendice relatif au monument qui lui a été élevé par sa ville natale (Beaune), ainsi qu’à l’expédition d’Égypte et à l’école polytechnique, Paris, 1854, in-12. Monge a élevé, à côté de sa Géométrie descriptive, un monument à la géométrie analytique où l’on reconnaît un digne continuateur des travaux de Clairaut, d’Euler et de d’Alembert. « Son Analyse appliquée à la géométrie, dit Delambre, présente les équations des lignes, des plans, des courbes du deuxième degré, la théorie des plans tangents, enfin les principales circonstances de la génération des surfaces courbes, exprimées par des équations aux différences partielles, sont il se sert pour intégrer d’une manière élégante un grand nombre d’équations, en suivant pas à pas les détails de la description géométrique. Dès 1772, il avait montré la liaison qui existe entre les courbes à double courbure et les surfaces développées. » Quelques parties de ce que Monge a écrit sur la physique peuvent paraître aujourd’hui surannées. Par exemple, des erreurs se sont glissées dans ses explications des phénomènes de la météorologie : prenant pour point de départ les principes posés par le docteur Leroy relativement aux variations de l’atmosphère, il a fait fausse route, par sa facilité à substituer des inductions ingénieuses aux moyens sûrs de l’observation. Monge effleura quelques côtés de la théorie des phénomènes capillaires, si complétement analysés depuis par de Laplace. On avait remarqué que deux corps nageant dans un fluide qui s’élève ou s’abaisse autour d’eux s’approchent l’un de l’autre et se réunissent par un