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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/243

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ambassadeur, se lia d’amitié avec Poussin et s’attacha même à lui comme peintre au point que plusieurs de ses tableaux, entre autres ceux d’une suite de la Passion, ont été attribués au Poussin et rangés dans l’œuvre de ce maître au cabinet du Louvre. L’un et l’autre continuèrent à correspondre lorsque Stella, de retour à Paris, en 1637, fut logé au Louvre en qualité de peintre du roi, avec M. de Chanteloup, devenu maître d’hôtel de Sa Majesté, devenu aussi l’ami et même pour la vie le correspondant de notre artiste. Poussin fit un grand tableau pour la collection de M. de la Vrillière, secrétaire d’État, Camille renvoyant les enfants des Falisques, sujet qu’il traita aussi dans une moindre dimension. Un premier tableau du Frappement du rocher, dans cette dernière proportion, que l’on préférait, fut composé pour M. Gillier, attaché à M. de Créqui, non pour Stella, qui en fit seulement l’objet de ses observations, comme on le verra au sujet de la seconde composition. Celui de la Manne suivit et fut exécuté pour M. de Chanteloup. En y travaillant, l’auteur écrivait à Stella « qu’il avait trouvé une certaine distribution et certaines attitudes qui faisaient voir dans le peuple hébreu, en même temps que la misère, la douleur et la faim, la joie, l’admiration et la reconnaissance, toutes choses exprimées avec un mélange de femmes, d’enfants et d’hommes d’âge et de tempérament différents, » etc. En effet, les circonstances diverses que l’historien ne peut rendre que successivement et que le peintre a su exprimer simultanément sans rompre l’unité de lieu y concourent différemment au sujet, comme les mouvements divers à l’unité d’action. Si l’antique, dont l’auteur était plein, lui a fait élever son sujet jusqu’à l’idéal, et si l’on croit voir qu’il retrace dans ses figures et ses groupes la Niobé, l’Antinoüs, les Lutteurs, Laocoon, Sénèque, etc., on reconnaît aussi qu’il s’est approprié ses modèles en leur donnant la pose, l’expression et le mouvement convenables à l’action. Il a saisi l’esprit général plutôt que la lettre du texte. On découvre de plus dans ses figures non-seulement ce qu’elles font, mais ce qu’elles ressentent. Un homme grave et âgé, considérant l’action d’une femme qui prête son sein à sa mère en donnant seulement des larmes à son enfant, attire l’attention sur cet acte de piété extraordinaire. Ce trait parle ainsi à l’esprit et à l’âme ; il fait à la fois compâtir et penser. Tel est le caractère général qu’on retrouve surtout dans les compositions dramatiques du Poussin, qui se distinguent par ce concours d’action si vrai et si naturel, et cet accord si beau du sentiment et de la réflexion, qui attache et qu’on partage et admire en même temps. Ce furent moins toutefois peut-être ces sujets touchants, mais sévères, devenus plus tard l’objet de savants entretiens, que les scènes mythologiques, telles qu’Amide et Renaud, pour Jacques Stella, et plusieurs bacchanales, ainsi qu’un Triomphe de Neptune, pour le cardinal de Richelieu, exécutés dans un style plus conforme à la mollesse ou à la gaieté du sujet, qui accrurent le désir qu’avait témoigné le ministre au secrétaire d’État, M. des Noyers, d’engager Poussin a venir se fixer à Paris. L’artiste philosophe, moins ami des honneurs que de son repos, jouissant des douceurs d’une vie paisible, quoique laborieuse, au sein de sa famille et de ses amis de Rome, eût préféré suivre, disait-il, le Chi sta bene, non si muova, d’autant plus qu’il était sujet depuis quelques années à une incommodité de la vessie. Dans une réponse à M. de Chanteloup du 15 janvier 1639, il lui mandait qu’il avait été ébranlé par sa lettre jointe à celle de Lemaire[1], peintre du roi, dans la résolution de rester à Rome ; mais qu’il y servirait volontiers le roi aussi bien qu’à Paris en tout ce qui lui serait commandé. Ce ne fut qu’après avoir reçu l’invitation même de M. des Noyers, accompagnée d’une lettre du monarque, qu’il annonça ses dispositions pour son départ en automne. Cependant ses motifs de santé et peut-être aussi des pressentiments d’agitation et de trouble succédant à des jours sereins, tels qu’il nous en a dépeint dans ses tableaux, lui faisaient retarder son voyage ; il désirait même s’en dégager, quoique le roi, par sa lettre, en le choisissant pour son peintre ordinaire, l’eût assuré gracieusement « que ses services seraient aussi considérés en France que ses ouvrages et sa personne l’étaient à Rome ». L’année entière s’étant vainement écoulée, M. de Chanteloup hâta un voyage projeté en Italie et vint à Rome, d’où il emmena son ami en France avec Gaspar Dughet, vers la fin de 1640. Un carrosse du roi conduisit Poussin de Fontainebleau à Paris au logement qui lui était destiné dans le jardin même des Tuileries. L’illustre artiste fut présenté par M. des Noyers au cardinal, qui l’embrassa. Il fut de suite accueilli honorablement à St-Germain par le roi, qui, s’étant mêlé exprès dans la foule des courtisans, fut distingué sans peine par Poussin, s’entretint longtemps avec lui, et, dans sa satisfaction, dit en se tournant vers les courtisans : « Voilà Vouet bien attrapé. » Bellori, en faisant connaître la lettre même où Poussin mande ces détails au commandeur del Pozzo, rapporte aussi un brevet de Sa Majesté du 20 mars 1641, qui nomme ce savant artiste son premier peintre ordinaire, et lui donne la direction générale de tous les ouvrages de peinture et d’ornements de ses maisons royales.

  1. Jean Lemaire, né à Dammartin en 1697, étudia sous Claude Vignon et alla en 1618 à Rome, où il se distingua par de grands ouvrages à fresque. Revenu à Paris en 1628, il peignit à Bagnolet, mais principalement à Ruel, chez le cardinal de Richelieu, des tableaux de perspective des plus surprenants. De retour à Rome, il y travailla sous la direction du Poussin, avec d’autres artistes français, à des copies de tableaux de la galerie Farnèse pour M. de Chanteloup. Il revint ensuite à Paris, où, étant logé en qualité de peintre du roi dans un des pavillons des Tuileries, un incendie consuma ses effets ; il se retira et mourut à Gaillon en 1659.