Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/244

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L’auteur de l’Éloge de Poussin, couronné à Rouen, n’a point connu ce brevet, lorsque, d’après la lettre du roi et le silence de Perrault, il a cru devoir accuser d’erreur Félibien et les autres historiens qui ont dit que Sa Majesté avait nommé Poussin son premier peintre ordinaire. Vouet ne laissait pas d’être le premier peintre titulaire du roi. Mais des marques si particulières d’estime et le mot échappé au monarque purent accroître la jalousie de cet artiste, sans doute déjà connue. Ce mot, non moins piquant qu’humiliant, aurait été d’un augure sinistre et cruel si Vouet fût mort la même année (en 1641), comme Félibien et presque tous les biographes qui l’ont suivi n’ont cessé de le répéter, tandis que, d’après les dates précises données par Bullard et Perrault, Vouet mourut seulement en 1648. Le sujet de la Cène pour l’église de St-Germain en Laye, l’un des grands tableaux ordonnés par Sa Majesté au Poussin et achevé en moins de trois mois, fut traité avec ce caractère religieux que demandait l’institution de l’eucharistie, où Jésus-Christ est debout, tenant une patère et bénissant le pain au milieu des apôtres à genoux ou dans l’attitude du respect et du recueillement ; il ne doit pas être confondu avec la Cène des Sept sacrements, où le Sauveur est assis à table avec ses disciples. Indépendamment d’un autre grand ouvrage projeté pour la chapelle de Fontainebleau, la suite des Travaux d’Hercule, peints en stuc, dont il fit les dessins pour la grande galerie du Louvre et dont on n’a peut-être que les esquisses gravées ; huit sujets tirés de l’Ancien Testament, et dont les cartons, exécutés pour tapisseries, ont été perdus ; d’autres sujets, encore demandés par le cardinal de Richelieu, furent en partie achevés dans la même année, et, quoique ces compositions fussent souvent interrompues (comme il le dit dans une lettre au chevalier del Pozzo du 4 avril 1642) par des frontispices de livres, par des décorations d’armories, par des dessus de cheminée, etc., tant le goût pour les nobles sujets, ajoute-t-il, est si peu constant qu’à peine commencés ou entrepris, ils sont aussitôt quittés ou négligés ; ces occupations ne l’empêchèrent pas de terminer un tableau de la plus grande dimension, ordonné par M. des Noyers pour le noviciat des jésuites, celui du Miracle de St-François Xavier. De tels travaux, qui auraient accablé un peintre moins courageux et moins occupé, ne laissaient pas de lui faire sentir le besoin d’être entouré des soins de sa famille et surtout de ceux de sa fidèle compagne, qui n’avait point quitté Rome et dont les consolations devenaient nécessaires à sa tranquillité. Outre le peu de repos et de liberté qui lui restait à Paris, les désagréments et les tracasseries que l’ignorance, l’envie et peut-être la cupidité lui suscitaient durent sans doute ajouter aux motifs qui déterminèrent sa résolution. La sublime Institution de la Cène avait pu imposer à l’envie timide ; mais le tableau si expressif du St-François Xavier choquait trop l’amour-propre jaloux. Le miracle du retour de la mort à la vie, dont le sujet semblait échapper à la peinture, s’y trouve exprimé moins encore par la gradation de mouvement de la jeune fille, soulevant un genou, ployant un bras et paraissant renaître, que par les vives impressions qu’on voit se produire sur le saint missionnaire, sur les assistants, sur la mère, sur les parents, et qui font partager les mêmes sentiments aux spectateurs. Cette composition attirait la foule et accusait en même temps la faiblesse d’expression d’un tableau de Vouet, placé à côté du premier, dans la même église, et qui était à peine regardé. Des partisans de Vouet, ne pouvant attaquer le sujet principal du tableau du Poussin, se rejetèrent sur les accessoires. Ils assimilèrent à un Jupiter tonnant le Christ qui apparaît dans la gloire et auquel le peintre, comme il le fait entendre dans sa noble défense, avait dû donner, non un air doucereux, mais un caractère de puissance conforme à son action. D’autres motifs de contrariété étaient relatifs aux travaux du Louvre. Le baron de Fouquière, ainsi qu’il le nomme dans une lettre à M. de Chanteloup, se plaignait de ce qu’on avait mis la main à l’œuvre sans le consulter, et prétendait que ses paysages, les vues des villes de France dont il était chargé devaient être l’ornement principal de la galerie. D’un autre côté, l’architecte du roi, le Mercier, avait employé tout l’appareil d’un luxe dispendieux pour charger d’ornements lourds et disproportionnés la voûte de cette galerie, et Poussin, en vertu de l’autorité qui lui était attribuée, les fit abattre pour disposer le tout dans des proportions plus conformes aux distances, à l’étendue, à l’ensemble, avec un goût plus noble dans la décoration et plus d’économie dans la dépense. Un tel changement, supporté difficilement par le Mercier, excita ses plaintes, auxquelles Poussin répondit dans une très-longue lettre à M. des Noyers, rapportée par Félibien. Après avoir opposé à la distribution mal entendue de l’architecte décorateur celle qui convenait à la grandeur, à la destination de la galerie, et dont la discussion équivaut à un véritable traité des proportions, il repousse comme une calomnie, ce qui lui tenait le plus à cœur, l’imputation d’avoir voulu compromettre l’honneur du roi par la parcimonie de ses plans. L’homme qui, en agissant franchement, se défendait de même n’avait sans doute besoin que d’exposer ses moyens et ses vues pour en faire reconnaître les motifs et pour confondre ses détracteurs : on a peine à croire que, n’ayant pas même terminé les dessins des Travaux d’Hercule à la galerie du Louvre, il ait imaginé pour dernier exploit du héros de se peindre terrassant la Sottise et l’Envie sous les traits de ses rivaux, et se couronnant lui-même, dans un tableau de la collection de Dufourny, attribué au Poussin et