Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/245

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gravé dans son œuvre par Landon. La seule allégorie qu’un homme si élevé par son caractère au-dessus des clameurs des envieux se serait permise, c’est le beau tableau de la Vérité que le Temps enlève et soustrait aux atteintes de l’Envie et de la Díscorde ou de la Calomnie, et dont une composition en grand brille aujourd’hui au musée ; elle fut peinte, non pour le cabinet du cardinal de Richelieu, comme le porte la notice du musée, mals pour l’appartement du roi au Louvre, et elle a orné jusqu’en 1753 la salle des séances de l’académie royale de peinture. Malgré ces contrariétés particulières, qui ne portaient atteinte ni à son crédit ni à son caractère, il avait servi à Paris de ses bons offices les amis du chevalier del Pozzo, ainsi que le chevalier lui-même, et à Rome de sa recommandation les jeunes artistes ses compatriotes. Après avoir obtenu pour l’Histoire des médailles impériales romaines d’Angeloni (voy. ce nom) une dédicace au roi, il avait provoqué avec succès l’exécution du projet de François Ier de faire dessiner et modeler les plus beaux monuments de Rome, travail pour lequel il proposa Errard. Ce fut dans ces dispositions que Poussin, attendant tout de ses travaux et du temps, demanda un congé pour retourner mettre ordre a ses affaires et amener sa femme en France, et repartit après deux années pour Rome, avec Dughet et Lemaire, en septembre 1642. La mort du cardinal de Richelieu étant survenue au bout de quelques mois et celle de Louis XIII ayant suivi d’assez près, ainsi que la retraite de M. des Noyers, il regarda ses engagements comme rompus et ne songea plus qu’à se renfermer dans les travaux de son atelier. Cependant à la rentrée de M. des Noyers, s’il refusa de venir reprendre ses fonctions au Louvre, c’est qu’on lui proposait, dit-il, de finir seulement la grande galerie, ce qu’il pouvait faire en envoyant de Rome les modèles. On voit qu’à des conditions moins restreintes il fût revenu à Paris, où l’attachaient ses amis. Il ne cessa point de travailler pour la France, et l’on peut dire qu’il fut, par ce motif et par les conseils que Lesueur, Lebrun et Mignard reçurent de lui, le rénovateur principal de l’art sous Louis XIV ; il mérita ainsi de conserver tant qu’il vécut le titre et les honoraires de premier peintre du roi, qui lui furent assurés par ce monarque. Le jeune Lebrun avait été recommandé par M. Séguíer au Poussin, lorsque celui-ci retournait à Rome. Il le rejoignit à Lyon, l’accompagna, et jouit constamment de ses entretiens et de ses leçons. Il suivit même d’abord la manière du Poussin, au point qu’on tableau d’Hercule Coclès ayant été pris pour une composition de ce maître, auquel elle attira les félicitations des peintres romains, Poussin en fut surpris et flatté sans en être jaloux. Dans le même temps, il se plaisait à diriger de Rome, par des envois d’esquisses, les études de Lesueur, dont il avait développé le goût pour l’antique (voy. Lesueur). Il seconda aussi le zèle de M. de Chanteloup pour l’avancement de l’art en lui envoyant des copies de tableaux des grands maîtres, faites sous ses yeux par des artistes français, entre autres par Errard, Lemaire et Pierre Mignard, auquel il donnait la préférence pour la peinture des Vierges et le portrait. Indépendamment de ces expéditions, il faisait passer à son correspondant des bustes antiques, dont l’exportation était alors très-difficile. Il n’y avait rien qu’il ne fît pour servir ses amis. Il était économe de leur bourse dans ses acquisitions : il ne l’était pas moins pour les honoraires de ses propres ouvrages. Il prit seulement la moitié des cent écus donnés en payement d’un tableau du Ravissement de St-Paul, qui lui avait été demandé en 1643 par M. de Chanteloup, comme devant servir de pendant à la Vision d’Ézéchiel, par Raphaël. Une modestie égale à sa modération lui avait fait dire avant de l’entreprendre qu’il craignait que la main ne lui tremblât en travaillant à un tableau qui devait accompagner celui de Raphaël, et il suppliait, après l’avoir fini, que son cadre ne fût point placé en regard, mais qu’il servît seulement de couverture au premier. C’est néanmoins ce tableau qui, par l’expression céleste du regard de l’admiration, éclatant sur le front de l’Apôtre et n’ayant d’égal que l’air de béatitude de la Vierge dans son Assomption, a fait témoigner au chevalier del Pozzo et redire d’après lui que la France avait eu son Raphaël aussi bien que l’Italie. Le même sujet (voy. St-Paul), retracé par Poussin avec des accessoires qui annoncent un degré d’extase moins élevé, a consolé le musée de l’absence de cette première composition, dont la France s’honorait. Le génie fécond de l’artiste, comme on l’a observé, lui faisait plutôt créer de nouveau que répéter les compositions des sujets qui lui étaient redemandées. Ce fut en 1644 qu’il commença de travailler à la deuxième suite des Sept sacrements, qu’on a vue longtemps à Paris, au Palais-Royal, avec ce Ravissement de St-Paul, et qui de même que celui-cl et comme la première suite, dont M. de Chanteloup avait désiré des copies, a passé en Angleterre. Âgé alors de cinquante ans, Poussin, en ébauchant le nouveau tableau de l’Extrême-onction, dont il reste au musée une esquisse si expressive, écrivait à M. de Chanteloup qu’il se sentait en vieillissant plus animé que jamais du désir de régler ses pensées sur celles des anciens peintres grecs, et que cette scène devait être un sujet tel qu’en choisissait Apelles, qui aimait à retracer des personnes mourantes. On voit en effet combien la sensibilité du Poussin le portait à représenter ces sujets pathétiques par celui de la Mort de Germanícus, si bien pensé d’après Tacite, et par celui du Testament d’Eudamidas, peint d’une manière si touchante d’après Plutarque et Lucien, mais dont il n’existe peut-être que des gravures, si ce tableau a péri suivant une tradition ; car il