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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/246

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ne saurait être suppléé par le tableau moderne qu’on voit au Luxembourg, où est dépeint, non Eudamidas mourant et léguant les seuls et les tendres objets qui lui restent à ses deux amis, mais Eudamidas mort et l’acceptation du legs. Quoique traités en différents temps et avec plus ou moins de simplicité ou d’étendue, ces sujets du Poussin retracent sinon la même vivacité du pinceau, du moins la même vigueur de l’âme, dont l’expression pénètre le spectateur d’un sentiment profond jusque dans des esquisses qui n’offrent aux yeux qu’un léger contour, un simple trait. Dans certaines pièces de cette collection, notamment dans le Baptême, où l’onction, non d’un vieillard mourant, mais de jeunes catéchumènes, forme un sujet bien opposé, quelques personnes, dit-il, avaient jugé trop douce sa manière, et peut-être étaient-ce celles-la mêmes qui avaient trouvé trop de fierté dans la figure du Christ dont on a parlé : il leur répond en écrivant à un ami « qu’il ne chante pas toujours sur le même ton et qu’il varie sa manière suivant les différents sujets ». Non-seulement il la variait en effet, ainsi que sa composition, mais il agrandissait et enrichissait l’une et l’autre : les deux tableaux cités de la deuxième suite en offrent un bel exemple. Le mot connu sur le tableau du Mariage, dont on a dit qu’il était difficile d’en faire un bon, même en peinture, ne convenait pas au sujet religieux du sacrement et encore moins à cette composition, où une solennité embellie par des accessoires gracieux consacre plus dévotieusement l’union virginale de Joseph et de Marie. En avançant dans sa carrière, Poussin, reporté en quelque sorte vers l’adolescence, mais avec des vues plus développées par l’observation, et qui lui faisaient varier et agrandir ses scènes, devenait moins exclusivement attaché à ce goût sévère puisé dans l’antique, mais allant quelquefois jusqu’à la dureté et à la sécheresse. On ne peut pas dire précisément qu’il changea sa manière, suivant l’expression de Reynolds, mais que, ses goûts étant moins austères, son exécution devint plus moelleuse, sa composition plus riche, et l’on y remarque, dit cet observateur philosophe, une plus grande harmonie entre les scènes et les sites, les figures et les fabriques, comme on le voit dans la collection des Sept sacrements, que le Poussin termina en 1648. Par cet heureux accord, il se préparait à étendre la sphère morale de l’histoire, en y rattachant, outre la poésie et l’allégorie, comme on l’a vu, les beautés physiques et locales de la nature et de l’art, non toutefois pour l’agrément seul et l’harmonie de la composition, mais afin de fortifier davantage et de mieux caractériser le sujet. Le Moïse sauvé des eaux, que Poussin répéta plusieurs fois, qu’il avait d’abord traité assez simplement en 1638, et qu’il orna ensuite de plus en plus par de nouvelles figures et de nouveaux accessoires, appartient à ce genre plus étendu, de même que le sujet si pittoresque du Jeune Pyrrhus sauvé. Le Moïse exposé sur les eaux, qui, relativement au paysage, offre des figures d’une petite proportion, se rapporte moins au même genre d’histoire qu’à la classe des paysages historiques dont nous parlerons. C’est à l’occasion d’un Moïse sauvé, envoyé à M. Pointel à Paris, et dans lequel M. de Chanteloup avait trouvé un charme supérieur à ceux de sa collection, que Poussin, en rendant raison à son ami de cette différence, lui parle des anciens modes des Grecs, soit graves et sérieux, soit véhéments et pathétiques, soit touchants et doux, soit gais et riants. Il tâche, dit-il, non-seulement d’exprimer, en changeant ainsi de modes, les différentes affections, suivant qu’elles conviennent à la situation des personnes, mais d’exciter ces divers sentiments dans l’âme des spectateurs, conformément à leurs dispositions. Pour mieux y parvenir, il fait plier à son sujet la nature elle-même, dans les circonstances où la vérité historique le cède à la vraisemblance des faits. C’est ainsi que, relativement à la belle composition du Frappement du rocher, envoyée à Jacques Stella (et plus riche d’invention avec un moindre nombre de figures que celle qui avait été peinte pour M. Gilliers dix ans auparavant), Poussin répond au reproche qu’on lui faisait d’avoir supposé un lit profond, creusé dans un désert sec et aride, en disant à Stella que ce phénomène est censé une suite du miracle qui a ouvert la terre en même temps que le rocher, afin qu’au lieu de se répandre çà et là l’eau pût être recueillie aisément pour le besoin de la multitude. On trouve dans cette composition, comme dans celle de la Manne, de ces actions liées par une suite de mouvements transmis d’un côté à l’autre du tableau, et formant une sorte de chaîne qui étend ou propage les effets, qui groupe, unit ou rapproche les parties les plus éloignées. Jusque dans les tableaux mêmes où le tumulte de l’action occasionne le plus le désordre des scènes, on remarque cette succession de mouvements qui, opposés ou différents, ne laissent pas de lier diversement les groupes et les figures, comme, entre autres, dans l’Enlèvement des Sabines, sujet répété deux fois, avec des circonstances de soldats armés ou non armés et des accessoires de mères ou d’enfants, dont un émule du Poussin, l’auteur du tableau des Sabines, paraît avoir profité. Mais Poussin, bien différent de son imitateur, a su peindre le nu sans l’étaler ; il a su donner la vie à ses figures, en les drapant noblement et avec décence, conformément à la condition, à l’âge et au sexe. Dans la Manne même, où il paraît retracer des statues grecques qui n’étaient pas drapées, il a suivi en les habillant les convenances sociales et historiques. Si dans quelques-uns de ses tableaux où il y a le plus de confusion et de mouvement, il a pu être blamé par Reynolds d’avoir trop divisé sa com-