Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/247

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position et dispersé sa lumière, ce qui nuit à l’effet total des lignes et à l’harmonie du clair-obscur, c’est du moins là peut-être un beau désordre ; mais c’est ce qui devient un défaut chez un imitateur dont les inventions manquent de mouvement. Le genre historique, agrandi par Poussin, lui en a fait mettre d’accord toutes les parties. Ses compositions, où les fabriques et les paysages tendent à l’effet général autant qu’à celui de la scène, présentent un grand exemple. Tels sont, entre autres, pour les sujets accompagnés de fabriques, le tableau de la Mort de Saphire et celui de la Femme adultère ; et, pour les sujets ornés de paysages, le tableau des Aveugles de Jericho et celui de ’'Rebecca. Ces divers ouvrages donnent, par l’opposition ou la gradation des expressions, un exemple plus ou moins simple des quatre modes que Poussin s’attachait à suivre. Le premier offre un sujet terrible de justice, tempéré par la pitié (voy. St-Pierre). Le second, qui contraste avec le précédent, montre un acte de bonté indulgente opposé à la malignité. Poussin, traitant avec leur caractère propre ces diverses scènes, suivant les localités et les mœurs, et se rapprochant davantage d’une nature moins circonscrite par les formes grecques de l’antique, ne méritait pas le reproche que lui fait Mengs de n’avoir pas mis dans la figure du Christ et celle des Juifs le grandiose que le sujet en lui-même ne comportait pas. Mengs, préoccupé du beau idéal, qu’il sépare trop du beau moral, a peu justement apprécié Poussin d’après ce tableau, où des tons de couleur devenus plus lourds ou plus ternes ont pu appesantir la forme ou altérer les traits de quelques figures. C’est dans le troisième tableau, exprimant par la guérison de deux aveugles un acte de puissance et de bienfaisance, que le peintre a su donner au Sauveur la dignité et la grandeur convenables, et c’est là aussi que, par des sites imposants et en rapport avec le sujet et les localités (que ce soit les environs de Jéricho ou ceux de Capharnaüm), l’idéal s’associe au vrai dans une juste mesure. L’hilarité que doit causer, à l’aspect des sites, la lumière du jour sur les aveugles est à son tour la cause du plaisir qu’éprouve le spectateur en voyant cette magnifique composition. Il appartenait à Sébastien Bourdon d’en développer les beautés naturelles, comme à Lebrun de décrire la composition de celui de la Manne. Enfin le quatrième tableau, sujet plein de grâce et de sentiment, achève de montrer que Poussin, quoiqu’il sentît ce qui lui manquait du côté de l’amabilité du pinceau et qu’il en fît l’aveu lors de l’envoi d’une grande figure de la Vierge à M. de Chanteloup, pouvait cependant déployer, dans une composition nombreuse de jeunes filles, les attitudes gracieuses, variées et naïves qu’il a développées avec tant d’expression et de vérité. Ce fut à l’occasion du tableau des Couseuses du Guide, envoyé par l’abbé Gavot au cardinal Mazarin, où la Vierge paraît assise au milieu d’un cercle de jeunes compagnes, que Pointel, charmé de ce tableau, en demanda un semblable de femmes au Poussin, qui choisit l’heureux sujet de Rebecca. L’agréable convenance des sites, des usages et des costumes, jointe aux beautés expressives qu’il a su créer sans s’asservir à l’antique, ajoutait à l’effet de ce tableau, qui, par son genre historique et le bel accessoire du paysage, dut plaire bien plus que la scène d’intérieur, simple et sans action, du Guide. Dans l’ordre de mérite comme dans l’ordre de temps, le tableau de la Femme adultère se rapporte à l’époque où le peintre pensait le plus profondément, quoique le judicieux auteur du Manuel du muséum français ait dit le contraire, car ce tableau est postérieur aux deux qui le suivent et que l’on a placés ensemble, comme les deux premiers, eu égard au caractère des sujets et à la liaison des faits. Le Poussin avait atteint l’époque où son génie, sans s’épuiser toutefois, était parvenu à sa maturité dans le genre historique proprement dit. Félibien, qui a pu alors bien mieux l’apprécier que de Piles, trop préoccupé du talent brillant de Rubens, avec lequel contraste tant le mérite sévère de notre peintre d’histoire, fit la connaissance du Poussin, non à Paris, où, bien jeune encore, il ne pouvait guère goûter les beautés réfléchies de l’art, mais à Rome, où son goût se développa dans les entretiens du Poussin ; il apprit de lui à connaître les beautés des grands maîtres qu’il voyait mises en œuvre et réunies avec des beautés nouvelles dans ses tableaux. On juge par la description étendue et sentie de celui de Rebecca, où il désigne jusqu’aux nuances des couleurs des vêtements, dont les teintes ont depuis perdu de leur vivacité, qu’il l’avait observé dans sa fraîcheur et sortant du pinceau de l’artiste. La grâce naturelle des jeunes filles, l’air de bonté et de pudeur de Rebecca firent demander des Madones au Poussin ; il a donné, en effet, à celles-ci des airs de tête analogues à ceux de ce tableau dans plusieurs de ses Ste-Famille. Ce n’est point, sans doute, la grâce vraiment vierge de Raphaël ; c’est plutôt la grâce maternelle se rapprochant de la nature dans les tableaux de ce temps et plus voisine de la sévérité antique dans les ouvrages antérieurs ; ses enfants, ses génies, sans avoir la beauté originale ou angélique de leur modèle, charment par leur tour spirituel et aimable. Mais les paysages et les sites de la Judée ou de la Syrie caractérisent ou enrichissent ces mêmes compositions. Le Repos de la Vierge en Égypte se distingue par la vue d’un temple du dieu Anubis et un cortége de prêtres portant le corps d’Osiris, tirés de la mosaïque de Palestrine ; de même qu’on remarque, dans l’un des deux paysages relatifs aux Obsèques et aux Cendres de Phocion, une procession lointaine de chevaliers, qui dé-