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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/36

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l’expression qui tient à l’âme ne lui manque pas quand le sujet l’exige. Nous avons de lui l’Éloge historique du jeune duc de Bourgogne, frère aîné de Louis XVI (Paris. 1761, in -8°), morceau d’éloquence dont la flatterie était un peu obligée. On reconnaît en général dans ses discours académiques l’écrivain formé sur les bons modèles. SesDissertations, dont une traite des Antiquités de Cahors[1], ses traductions de quelques Dialogues de Lucien, celles des Tragédies d’Eschyle, qu’il osa, le premier, mettre toutes en français et nous faire ainsi connaître complétement, déposent en faveur de son savoir comme de son talent. Les hellénistes ont pourtant déclaré que cette version d’Eschyle, assez élégante, n’était pas conforme à l’original. L’étude des langues modernes, jointe à celle des langues de l’antiquité, avait mis Pompignan en état de transporter aussi dans notre idiome ou d’imiter avec succès les morceaux de poésie étrangère les plus brillants. Enfin le recueil de sa correspondance offre un vaste et riche dépôt de littérature, de jurisprudence, d’histoire, qui atteste l’étendue et la variété de son érudition ; nous indiquerons principalement la lettre qu’il écrivait à Racine le fils en 1751 et où il lui demandait, ou bien lui soumettait des observations sur les ouvrages de l’auteur de Phèdre et d’Athalie[2]. On voit quels étaient les titres littéraires de l’ancien premier président de la cour des aides de Montauban quand la voix publique l’appela dans le sein de l’Académie française. Il avait tout récemment fondé dans sa ville natale une académie, et celle des Jeux Floraux lui avait rendu de véritables hommages, sans compter ceux du parlement de cette ville, qui se l’était aussi affilié. On a prétendu qu’il s’était formalisé de ce que les académiciens n’avaient pas témoigné un grand empressement à le nommer dès qu’il en avait manifesté le désir, et surtout de ce que Ste-Palaye avait obtenu sur lui la préférence en 1758. Au reste, deux ans après il fut élu à l’unanimité. Telle était la position de Pompignan lorsque arriva le jour de sa réception à l’Académie (le 10 mars 1760), réception qu’il avait volontairement retardée pendant cinq mois. Mais comment fut-il amené à prononcer, comme récipiendaire, un discours si différent de ceux que l’on avait jusque-là entendus en pareille circonstance ? c’est ce que l’on ne peut bien expliquer que par l’ardeur du zèle antiphilosophique qui l’animait et qui excluait chez lui toutes les considérations. Attaquer en pleine séance plusieurs des hommes de lettres dont il devenait le collègue pouvait être jugé, même en dehors de l’Académíe, comme une première inconvenance de position et de conduite. Son zèle, disait-on, aurait dû l’empêcher d’aspirer à faire partie du corps des académiciens philosophes. Ceux d’entre eux qu’il avait le plus offensés ne cessèrent de répéter qu’un procédé si nouveau dans les annales des corps littéraires ou scientifiques avait pour unique cause l’excès, poussé jusqu’à une sorte de fureur, d’un orgueil blessé, ou un fanatisme sans excuse. À l’occasion de son discours et de l’Éloge du duc de Bourgogne, publié un au plus tard, on l’accusa d’avoir eu pour but principal de parvenir à se faire confier l’éducation des fils du Dauphin, prince éminemment religieux et très-opposé au corps des encyclopédistes. C’est pour cela, disait-on, qu’il déclarait solennellement la guerre à Voltaire, à d’Alembert, etc., qu’à la vérité il n’avait pas nommés, mais qui ne pouvaient manquer de se reconnaître à leurs désignations. Cependant, pour répondre à une aussi fausse allégation, il suffisait de dire que Pompignan avait renoncé volontairement aux emplois qui devaient l’approcher du trône, et de rappeler ses efforts énergiques pour soutenir à Versailles la cause du peuple, lorsqu’il était encore à la tête de la cour des aides de Montauban. Quoi qu’il en soit, ce fut là le terme, sinon de la gloire de Pompignan, du moins de son repos. Plusieurs des personnages intéressés avaient écouté en silence son discours, le public l’avait applaudi, et le nouvel académicien sortit du Louvre dans l’ivresse du succès. Le roi et la reine témoignèrent bientôt après qu’ils approuvaient son langage hardi. Une partie des cercles de la capitale et beaucoup d’habitants des provinces y donnaient leur adhésion ; mais presque au même instant on vit commencer l’escarmouche des Facéties parisiennes, les Quand, les Pour, les Que, les Oui, les Quoi, les Car, les Ah! les Oh! qui venaient de Ferney. Morellet y donna suite par les Si et les Pourquoi ; il introduisit Pompignan dans sa Préface de la comédie des Philosophes. Celui-ci, profondément blessé par les accusations mensongères, jointes aux épigrammes et aux injures, se plaignit au roi dans un mémoire qu’il lui adressa le 11 mai. Il y niait d’avoir été privé de sa charge d’avocat général pour avoir traduit (en 1738 et 1739) la prière universelle de Pope, qui semble tendre au déisme ; et il se justifiait d’avoir entrepris cette version, dont il désavouait d’ailleurs l’impression, étant loin d’approuver entièrement l’original. Voltaire, si souvent irascible et toujours adroit à manier l’arme du ridicule, épuisa en prose et en vers tous les moyens de s’égayer aux dépens du magistrat-poëte, et l’on peut dire qu’il n’a rien fait de plus piquant dans ce genre. L’académicien ennemi de l’Académie se voyait immolé à la risée publique[3] ; mais bien plus sensible encore

  1. De antiquitatibus Cadurcorum, 1746, in-8°, et dans le tome 5 du Recueil de l’Académie de Cortone ; Pompignan a aussi donné, dans les Mélanges de l’académie de Montauban, 1755, in-8° (p. 365-405), des conjectures sur le temps où le Rouergue (Rutheni) fut incorporé à la Gaule Narbonnaise.
  2. Elle tut publiée séparément en un petit volume in-16. On la trouve dans les Œuvres de Louis Racine.
  3. Une grande partie du public parisien, excité par les facéties de Voltaire, prit parti contre Pompignan. Collé rapporte que, le 9 novembre 1760, un des comédiens français étant venu, suivant l’usage, annoncer qu’íls donneraient le lendemain Didon et le Fat puni, le parterre en fit une application maligne à l’auteur de la tragédie, ce qui détermina la résolution de jouer le jour suivant une autre petite pièce que celle qui avait été promise comme devant suivre Didon.