Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/41

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mais d’un autre auprès duquel celui-là est si peu de chose…, Les paroles que le roi vous a dites sont d’une grande consolation et portent une grande joie a un homme qui souhaite précisément et uniquement les mêmes choses : servir Dieu le premier et ensuite un roi et un maître à qui on est si étroitement redevable[1], » Pomponne ne pouvant quitter immédiatement la Suède, Louvois, chargé par intérim des affaires étrangères, ouvrit des relations qu’il ne cessa plus d’entretenir, et il se prépara ainsi à l’avance les moyens de renverser un jour le nouveau ministre. Le roi reçut Pomponne de la manière la plus honorable. Pomponne montra dans le ministère la même habileté qu’il avait déployée dans la’ pratique des négociations. Le caustique St-Simon dont la plume se prête si difficilement à tracer un éloge, le peint des traits suivants : « C’était un homme excellent, par un sens droit, juste, exquis ; qui pesait tout, faisait tout avec maturité et sans lenteur ; d’une modestie, modération, simplicité de moyens admirables et de la plus solide et de la plus éclairée piété. Ses yeux montraient de la douceur et de l’esprit ; toute sa physionomie de la sagesse et de la candeur : une dextérité, un art, un talent singulier la prendre ses avantages en traitant ; une finesse. une souplesse sans ruse qui savait parvenir à ses fins sans irriter, et avec cela une fermeté, et, quand il le fallait, une hauteur à soutenir l’intérêt de l’État et la grandeur de la couronne que rien ne pouvait entamer. Avec toutes ces qualités, il se fit aimer de tous les ministres étrangers comme il l’avait été dans tous les pays où il avait négocié. Poli, obligeant, et jamais ministre qu’en traitant, il se fit adorer à la cour, où il mena une vie égale, unie et toujours éloignée du luxe et de l’épargne : ne connaissant de délassement de son grand travail qu’avec sa famille, ses amis et ses livres. » Louvois et Colbert possédaient les principales qualités qui font les hommes d’État ; ils en avaient aussi les défauts. Une ambition démesurée nourrissait en eux un profond égoïsme qui tourmentait tout ce qui n’était pas eux ou leurs familles. Pomponne estimé du roi sans être cependant en faveur, avait, à la cour comme dans le monde des amis nombreux et dévoués qu’il devait principalement à ses qualités sociales, à l’aménité dont il ne se dépouillait jamais. La bienveillance universelle dont il était environné, importuna les deux autres ministres. Il y avait loin du caractère de Pomponne à la dureté de Louvois, à la froideur glaciale de Colbert. Une jalousie secrète s’établit et se fortifia. L’un et l’autre ne s’appliquaient qu’à étendre leur influence. « Chacun des deux, dit St-Simon, tendait toujours à embler la besogne d’autrui. » Ils essayaient souvent de s’immiscer dans les affaires de son département ; mais ils ne pouvaient y réussir : Pomponne, ayant acquis une grande connaissance des affaires de l’Europe, des intérêts des cours étrangères, des ressorts qui les faisaient mouvoir, avait dans le conseil tant d’avantages sur eux, qu’ils n’osaient ni ne pouvaient le contredire devant le roi. Un intérêt commun rapprocha pour un temps deux hommes qui jusque-la n’avaient pu s’accorder, et ils conjurèrent ensemble la chute de Pomponne. Les opinions favorables au jansénisme que la famille des Arnauld avait soutenues et professées furent adroitement rappelées au souvenir du roi. On fit naître peu à peu des scrupules dans son esprit sur le danger de laisser des fonctions éminentes entre les mains d’un homme que ses relations de famille unissaient à ceux que l’on qualifiait d’ennemis de l’État. Pomponne partageait les opinions de Port-Royal ; mais, doué d’un caractère doux et indulgent, il n’appliquait qu’à lui-même leur sévère austérité. Arrêté dès le commencement de sa carrière par l’accusation dirigée contre son nom, la même cause allait le faire descendre du haut rang où la bienveillance royale et son propre mérite l’avaient placé. « C’était un crime que sa signature, » disait-on à madame de Sévigné[2]. Ce ne fut cependant qu’avec de longs efforts que l’on parvint à diminuer la confiance du roi ; mais peu à peu, à force d’insister, on réussit à l’ébranler. Louis XIV se trouvait dans cette disposition douteuse lorsque le prétexte le plus léger amena la disgrâce de Pomponne. Le roi venait de faire la demande de la princesse de Bavière pour le Dauphin, et l’on attendait à chaque moment le consentement de la cour de Munich. Arnauld n’aurait pas dû quitter Versailles ; il céda imprudemment au désir d’aller passer quelques jours à Pomponne, malgré les instances de la princesse de Soubise, son amie, qui voyait forage se grossir, mais n’osait s’en ouvrir entièrement, dans la crainte de laisser échapper son propre secret. Le courrier arriva le jeudi : dès le même jour Louvois, qui avait conservé des correspondances dans toutes les cours, porta au roi des lettres dans lesquelles on lui annonçait la conclusion du mariage de M. le Dauphin. Quarante-huit heures s’écoulèrent sans que les dépêches adressées au roi fussent déchiffrées, et le samedi 18 novembre 1679 Pomponne, arrivant à Versailles, reçut des mains de Colbert l’injonction de remettre ses dépêches et sa démission. Les deux ministres, loin de chercher à atténuer une négligence blâmable, mais susceptible d’excuse, l’avaient présentée sous les couleurs de la faute la plus grave, et ils étaient parvenus à se délivrer de l’homme qui les importunait. Tous les deux n’avaient pas usé d’une adresse égale : Louvois comptait réunir les affaires étrangères au ministère de la guerre ;

  1. Lettre de Pompone du 30 septembre 1671 à la suite des Mémoires de Coulanges, p. 434.
  2. Lettre du 8 décembre 1679.