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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 34.djvu/42

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Colbert travaillait pour M. de Croissy, son frère, qui fut immédiatement déclaré le successeur de Pomponne. M. de Pomponne emporta les regrets de la France. Les plus illustres personnages s’empressèrent de lui témoigner la part qu’ils prenaient à son infortune. Il soutint sa disgrâce avec une constance et une fermeté chrétiennes qui l’honorèrent encore plus que ne l’avait fait son élévation. « Les étrangers, dit St-Simon, en regrettant sa personne qu’ils aimaient,… furent bien aises d’être soulagés de sa capacité. » Nous ne serions pas entré dans des détails aussi étendus, si, pour justifier Pomponne, nous n’avions pas eu à combattre un document du plus grand poids. Louis XIV lui-même dans ses Réflexions sur le métier de roi, a porté sur ce ministre un jugement dont l’autorité paraît accablante ; mais il est prouvé par les faits que ce grand roi, induit d’abord en erreur par ceux qui l’entouraient, revint ensuite à des sentiments plus favorables à Pomponne. « En 1671, dit le roi, un ministre (M. de Lionne) mourut… Je fus quelque temps à penser à qui je ferais avoir la charge, et après avoir bien examiné, je trouvai qu’un homme qui avait longtemps servi dans les ambassades était celui qui la remplirait le mieux. Je l’envoyai quérir ; mon choix fut approuvé de tout le monde ; ce qui n’arrive pas toujours… Je ne le connaissais que de réputation et par les commissions dont je l’avais chargé, qu’il avait bien exécutées ; mais l’emploi que je lui ai donné s’est trouvé trop grand et trop étendu pour lui. J’ai souffert plusieurs années de sa faiblesse, de son opiniâtreté et de son inapplication. Il m’en a coûté des choses considérables : je n’ai pas profité de tous les avantages que je pouvais avoir et tout cela par complaisance et bonté. Enfin, il a fallu que je lui ordonnasse de se retirer, parce que tout ce qui passait par lui perdait de la grandeur et de la force qu’on doit avoir en exécutant les ordres d’un roi de France qui n’est pas malheureux. Si j’avais pris le parti de l’éloigner plus tôt, j’aurais évité les inconvénients qui me sont arrivés et je ne me reprocherais pas que ma complaisance pour lui a pu nuire à l’État[1]. » Telle était l’opinion que l’on était parvenu à inspirer au roi sur Pompone : elle étonne d’autant plus, que ce fut sous le ministère de ce dernier que fut conclue la paix de Nimègue, par laquelle la Franche-Comté et le Hainaut furent réunis à la France. Peut-être Louis XIV a-t-il regretté d’avoir restitué aux Hollandais toutes les conquêtes qu’il avait faites sur eux. Il est vraisemblable que la sage modération de Pomponne aura été présentée au roi comme une marque de faiblesse et d’incapacité. Au reste, la manière dont le roi traita Pomponne après sa disgrâce parle plus haut que ne pourraient le faire nos réfutations. « Le roi, après quelque temps, dit St-Simon, voulut voir Pomponne… dans ses cabinets : il le traita en prince qui le regrettait et lui parla même de ses affaires de temps en temps, mais rarement… À une de ses audiences, le roi lui témoigna la peine qu’il avait ressentie en l’éloignant et qu’il ressentait encore… Il lui dit qu’il avait toujours envie de le rapprocher de lui, qu’il ne le pouvait encore, mais qu’il lui demandait sa parole de ne point s’excuser et de revenir dans son conseil dès qu’il le lui commanderait ; en attendant, de garder le secret de ce qu’il lui disait. Pomponne le lui promit et le roi l’embrassa. » Il paraît que ceci se passa à l’époque où Louis XIV, fatigué de Louvois, était dans la disposition de l’envoyer à la Bastille. En effet, à peine ce ministre fut-il expiré (16 juillet 1691), que le monarque écrivit à Pomponne de revenir prendre sa place dans ses conseils comme ministre d’État. Le roi daigna même, nous apprend St-Simon, lui faire des excuses d’avoir autant tardé à le rappeler et alla jusqu’à lui exprimer la crainte qu’il ne vit avec peine M. de Croissy remplir des fonctions dont il s’était si dignement acquitté. Pomponne, voulant prouver au roi qu’il n’avait pas d’autres vues que le bien de son service, alla sur-le-champ rendre visite à Croissy et lui donna son amitié. De ce moment il exerça les fonctions de ministre d’État ; il eut un logement à Versailles et une pension de vingt mille livres[2]. Croissy étant mort le 28 juillet 1696, le roi confirma dans sa charge M. de Torcy, son fils, qui épousa le 13 août suivant la fille de M. de Pomponne. Il fut réglé que Pomponne donnerait audience aux ministres étrangers en présence de Torcy ; qu’il rapporterait au conseil toutes les affaires étrangères et mettrait par apostille ce qu’on aurait résolu de répondre aux ministres du roi ; que Torcy ferait ensuite les dépêches[3]. Le gendre de Pomponne se forma ainsi aux affaires sous sa direction et il devint un des meilleurs ministres qu’ait eus la France (voy. Torcy). Pomponne, uni par les liens de la plus étroite amitié avec les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse, vécut à la cour jusqu’à la fin de sa carrière. Il mourut d’apoplexie à Fontainebleau le 26 septembre 1699, également regretté des Français et des étrangers, dit Dangeau[4]. Il avait épousé en 1660 mademoiselle Ladvocat,

  1. Œuvres de Louis XIV, t. 2, p. 468. Voltaire a le premier fait connaître ce passage dans le chapitre 28 du Siècle de Louis XIV. Il ajoute judicieusement : « Que ne devait pas se dire Louis XIV sur M. de Chamillard, dont le ministère fut si infortuné et condamné si universellement! »
  2. Voltaire avance, dans le Siècle de Louis XIV, que Pomponne n’usa point de la permission que le monarque lui donna d’entrer au conseil ; c’est une assertion contraire à la vérité. On voit dans une lettre de Racine à Despréaux, écrite de Fontainebleau le 28 septembre 1694, que Croissy et Pomponne présentèrent au roi un libraire d’Amsterdam ; ce que Pomponne n’eût pas fait s’il n’avait pas exercé les fonctions de ministre d’État. (Voy. les Œuvres de Boileau, édition de M. de St-Surin, t. 4, p. 259.)
  3. Mémoires de Dangeau, t. 2, p. 46.
  4. Mémoires de Dangeau, t. 2, p. 159.