bientôt devait être réciproque ; cela ressemblait même assez à une passion. En 1839, par exemple, le prince Albert, revenant d’Italie, trouva à Cobourg, dans sa chambre à coucher, un portrait de Victoria devenue reine, placé là par son ordre et à l’insu du prince. Plus tard, voulant lui témoigner qu’elle l’avait choisi pour époux, elle lui donna tout simplement, au milieu d’un bal et pendant un quadrille, le bouquet qu’elle avait porté. Le prince Albert plaça romanesquement le bouquet sur son cœur, après avoir déchiré son habit. En 1839, la reine convoqua un conseil privé, auquel elle annonça son intention d’épouser le prince. « J’ai la conviction, dit-elle, que Dieu bénira cette alliance, qui assurera mon bonheur et servira les meilleurs intérêts du pays. » Et le 16 janvier 1840, le discours d’ouverture du parlement, par la souveraine, confirma la communication faite au conseil privé. Dans un pays constitutionnel, une union de ce genre pouvait donner lieu à quelque opposition. Le parti tory releva certains faits. Dans la chambre des lords, le duc de Wellington aurait voulu que la reine eût annoncé que le prince était protestant. « Je sais, disait le duc, que le protestantisme est la religion du prince ; le public était intéressé à le savoir officiellement, et l’on aurait dû, par une notification arrêtée en conseil, faire part de cette circonstance à la nation. » À la chambre des communes, le débat porta surtout sur la dotation viagère de cinquante mille livres sterling demandée pour le prince. « Il est dangereux, dit M. Hume, de mettre autant d’argent dans la poche d’un jeune homme… Plein de respect pour la reine, dévoué à sa personne comme un loyal sujet, je n’oublie pas que je suis ici le représentant du peuple anglais. » C’est en ces termes qu’un autre membre, M. Graham, combattit à son tour l’allocation. Enfin elle fut réduite à trente mille livres, et sir Robert Peel contribua sans doute à entrainer ce vote. « Le pays, disait-il, est assez riche pour que l’on puisse accorder tout ce qui est nécessaire au mari de notre souveraine ; mais il ne faut pas que cette allocation puisse exciter son mécontentement. » Le mariage fut célébré, selon les rites de l’Église anglicane, le 10 février 1840. « Albert, dit l’archevêque de Cantorbéry, veux-tu prendre cette femme pour épouse ? ― Je le veux, a répondit le prince. Même question à la reine et dans les mêmes termes primitifs : « Veux-tu prendre Albert pour époux ? ― Je le veux, " répondit la reine d’une voix qui ne manquait pas de force. Le 11 juin de la même année, comme les deux époux faisaient leur promenade accoutumée, un homme s’approcha brusquement de la souveraine et lui tira un coup de pistolet, puis un autre, que le prince Albert voulut parer en poussant vivement la reine dans le fond de la voiture et en se plaçant entre la reine et l’assassin. Mieux dirigée, l’arme eût infailliblement atteint le prince, dont le dévouement fit une profonde sensation. Peu de temps après le mariage, le prince remplaça lord Melbourne dans ses fonctions de secrétaire privé de la reine, à laquelle le prédécesseur écrivait, le 30 août, qu’il « avait la plus « haute opinion de Son Altesse… ; qu’il tenait pour certain que Sa Majesté n’avait rien de mieux à faire que d’avoir recours aux avis d’un tel conseiller lorsqu’elle serait embarrassée, et de s’en rapporter à lui en toute confiance ». Au surplus, l’influence du prince ne fit que grandir. Une sorte de théorie constitutionnelle s’établit au sujet des attributions du mari de la reine. En 1854, lord Aberdeen l’exposa devant le parlement. Il en résultait que le prince-époux était de droit membre du conseil privé, qu’il lui était loisible d’exprimer son opinion sur les affaires, et enfin que, comme père des héritiers de la couronne, il devait à la reine tous les conseils que lui pourrait suggérer sa sollicitude pour l’avenir de leurs enfants. Le prince Albert n’empiéta point sur ses droits. C’est ainsi qu’il déclina l’offre du commandement en chef de l’armée anglaise à lui faite en 1850 par le duc de Wellington. Dans une lettre qu’il écrivit à cette occasion, il donnait à entendre que des fonctions de cette nature pouvaient nuire à la tâche qui lui était dévolue ; que le prince-époux devait combler les vides que la reine, en sa qualité de femme, était nécessairement obligée de laisser dans l’exercice de ses fonctions royales ; par conséquent, surveiller attentivement et continuellement toutes les branches des affaires publiques, afin d’être en mesure de la conseiller et de l’assister dans les nombreuses et difficiles questions qui lui étaient soumises et dans les devoirs internationaux, politiques, sociaux ou personnels qu’elles lui imposaient. Albert remplit consciencieusement ce programme. Pendant près d’un quart de siècle il seconda la reine dans les rapports de la couronne avec le ministère. Il ne resta étranger à rien de ce qui touchait aux intérêts généraux. Rapprocher les peuples, telle était l’œuvre à laquelle, lui aussi, comme tant d’esprits éminents, il tenait à coopérer ; de là son active et infatigable initiative dans l’institution des expositions universelles. Celle de 1851 le récompensa de ses efforts. « C’est pour moi, disait-il, une grande satisfaction de voir l’idée que j’avais a émise rencontrer une approbation et un concours universels, car cela me prouve que mes vues sur les exigences particulières de notre temps répondent à celles du pays. Personne ne peut douter que nous ne nous trouvions dans une période de transition merveilleuse qui tend rapidement vers le but indiqué par l’histoire tout entière, la réalisation de l’unité de l’espèce humaine, non d’une unité qui renverse les limites et fasse disparaître les signes caractéristiques des différentes nations sur la face
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