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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 4.djvu/9

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comédie, en donnant en France un grand ébranlement aux esprits, ont accéléré la révolution. Ces procès furent celui des trois hommes condamnés a la roue, en 1784 ; celui du collier, en 1786, et celui de Kornmann, en 1788. La comédie fut le Mariage de Figaro. Dupaty, Cagliostro et d’Eprémœnil, Bergasse et Beaumarchais imprimèrent le mouvement précurseur. Le mépris fut alors versé sur tout ce qui soutenait encore la vieille monarchie, sur la cour, la noblesse, le clergé et la magistrature. La force peut se défendre contre la haine : elle tombe devant le mépris. Les fondements de l’antique édifice étaient minés lorsque le 14 juillet arriva. Le procès de Kornmann, qui occupa le public pendant plus de deux ans, fit la réputation de Bergasse : elle fut alors à son apogée, et depuis elle sembla plutôt descendre que monter. L’éclat mémorable de cette cause fit perdre de vue, dans les salons, l’assemblée des notables qui avait occupé tous les esprits. On commença à parler beaucoup moins de Necker et de Calonne, que de Bergasse et de Beaumarchais. Dès lors les pamphlets dont fut assailli l’auteur du Mariage de Figaro, pièce qui avait eu déjà plus de cent représentations, furent plus avidement recherchés que tous les écrits publiés sur la dette publique et sur la position critique où se trouvait la monarchie. Telle était alors l’insouciante légèreté des Français, et la cour elle-même riait, étourdie devant l’abîme où elle devait périr. Guillaume Kornmann, ancien magistrat à Strasbourg, connu à Paris dans la banque, avait voulu se faire une plus singulière réputation : il intenta contre sa femme une accusation d’adultère. L’ex-lieutenant de police Lenoir, conseiller d’État, qui venait de partager la disgrâce de Calonne, fut attaqué comme corrupteur, et Beaumarchais comme l’agent de la corruption ; le sieur Daudel de Jossan, syndic-adjoint de la ville de Strasbourg, et le prince de Nassau-Siegen, se trouvèrent aussi poursuivis comme corrupteurs de la dame Kornmann. Les mémoires de Bergasse, pour l’époux trahi, eurent un succès prodigieux, et amenèrent contre Beaumarchais un déchaînement universel : il fut aussi violent, en 1788, qu’avait été grande, en 1774, la faveur publique, dans le procès de Goëzman qui fit sa renommée et sa fortune. Mais, dans le procès de Kornmann, l’auteur de Tarare, qu’on répétait alors, ne sut pas mettre les rieurs de son côté. Ses mémoires furent trouvés sans verve, sans gaieté communicative, et ne se firent remarquer que par la fureur des injures et parle mauvais goût. Entre les nombreux pamphlets dont il fut poursuivi, on distingua le Testament du père de Figaro, et une parodie du récit de Théramène, où l’on rappela le mémoire de Mirabeau et la détention de Beaumarchais à St-Lazare, provoquée par sa chanson contre un mandement de l’archevêque de Paris. Le scandaleux procès de Kornmann commença avec une violence extraordinaire. Le premier mémoire de Bergasse fut qualifié, dès le 17 mai 1787, par Beaumarchais, de libelle atroce, et son auteur, de scélérat, de furieux qui s’expose au châtiment du crime. Dès le 28 mai, Bergasse disait au public : « M. Beaumarchais publie qu’il n’aura de repos que lorsqu’il m’aura fait condamner aux galères… Depuis trois mois on me menace d’assassinat, de poison, d’emprisonnement, de lettres de cachet, et maintenant c’est le bourreau qui doit être le vengeur de M. de Beaumarchais. » Le mémoire de Bergasse avait été adressé par une circulaire imprimée à chaque membre de l’assemblée des notables, et par d’autres lettres, pareillement rendues publiques, au garde des sceaux (de Lamoignon), au principal ministre (l’archevêque de Toulouse), et au ministre de la maison du roi (le baron de Breteuil). « Je sais, disait Bergasse aux notables, qu’on a entrepris de faire regarder ce mémoire comme un libelle, on a même été plus loin, comme une espèce d’attentat à l’autorité. » L’ex-lieutenant de police Lenoir était accusé d’avoir, à la sollicitation de Beaumarchais et du prince de Nassau, levé la lettre de cachet que Kornmann avait obtenue contre sa femme ; d’avoir ensuite livré cette femme à Beaumarchais, et puis d’avoir fait offrir 600,000 fr. pour acheter le silence de Bergasse. Ce procès ne tarda pas à faire à Bergasse une grande célébrité. Voulant donner à cette cause un intérêt plus grand et plus large que celui qui pouvait ressortir d’une simple accusation d’adultère, il y fit entrer la politique, l’attaque contre le despotisme ministériel, et la nécessité de réformer les mœurs et les lois. Les circonstances le favorisèrent, car plus il y a de corruption dans les mœurs, plus la sévérité des principes est applaudie. Bergasse avait fait d’un de ses mémoires un traité de morale austère, et le procès de Kornmann ne semblait y être qu’un texte à des réflexions politiques sur l’état de la société. Cet état était déjà profondément troublé, et, avec de droites intentions, sans aucun doute, Bergasse donna aussi l’ébranlement. Ce mémoire (du 11 juin 1788) est dédié au roi : « Sire, lui disait Bergasse, un homme de bien a déposé, dans les mains de Votre Majesté, son honneur, sa liberté, sa vie. Il est menacé ; il pouvait fuir. En pensant à la noble action qu’il a faite, et aux vertus personnelles de Votre Majesté, il demeure. » Dans ce mémoire, Bergasse dénonce à Louis XVI ses ministres, et attaque les opérations du gouvernement. Il n’en fallait pas tant pour le succès, qui fut prodigieux. On n’osa arrêter cette publication, et le roi défendit que l’auteur fût inquiété. Bergasse avait adressé ce mémoire à la reine, et il lui disait, dans une lettre qui n’a pas été publiée : « On trompe Votre Majesté, madame, et on la trompe d’une manière bien cruelle. Il faut cependant que l’erreur dans laquelle on persiste à l’entretenir se dissipe, et qu’avant que de plus grands maux n’arrivent, elle soit avertie du bouleversement affreux qui se prépare. » C’est le 11 août 1788 que Bergasse écrivait ces paroles prophétiques. Il ajoutait : « Les personnes qui connaissent les qualités particulières de Votre Majesté sont indignées de la manière dont des ministres, justement détestés, osent calomnier des intentions bienfaisantes, attribuant elle seule les désordres qu’ils ont provo-