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qui l’avait si longtemps nourri. À peine eut-il, dans des intervalles de forces renaissantes, la faculté d’achever son Cantique des cantiques, espèce de dithyrambe, ou hymne nuptial, destiné à célébrer son union, et qui est un monstrueux mélange de passions frénétiques, d’idées religieuses, et de ’phrases ampoulées. Ce fut la dernière production de Bürger. Ayant étudié la philosophie de Kant, il eut l’idée de s’en faire une ressource à Goettingne, où elle n’avait pas encore été enseignée ; il offrit de l’expliquer dans des cours qui furent suivis par un grand nombre de jeunes gens. Le succès, la satisfaction que l’université lui témoigne pour deux cantates qu’il fit en 1787, à l’époque du jubilé quinquagénaire de cette illustre école, et sa nomination a la place de professeur extraordinaire, ranimèrent son courage. La fortune paraissant lui sourire de nouveau, il forma le projet de se remarier, pour donner une mère al ses enfants. Dans un des moments où cette idée l’occupait le plus, il reçut une lettre de Stuttgard, dans laquelle une jeune personne, dont le style annonçait un esprit cultivé, et les sentiments une âme élevée et sensible, après lui avoir peint avec enthousiasme l’impression que ses poésies avaient faite sur elle, lui offrait son cœur et sa main. Bürger ne parla d’abord de la chose qu’on plaisantant ; mais les informations qu’il prit sur le caractère, la fortune et l’extérieur de son correspondant, ayant enflammé. son imagination, il lit le voyage de Stuttgard, et en ramena une femme qui empoisonna et déshonora le reste de ses jours. En moins de trois ans, il se vit dans la nécessité de s’en séparer par le divorce, et l’épuisement de sa santé se joignit à un dénuement absolu. Enfermé dans une petite chambre, le poète favori de l’Allemagne consuma le reste de ses forces en traductions commandées par quelques libraires étrangers ; mais la maladie et la douleur lui ôtèrent bientôt jusqu’à cette ressource, et il serait mort dans la plus affreuse indigence, si le gouvernement de Hanovre n’eût versé sur lui quelques bienfaits. Il mourut le 8 juin 1791, d’une maladie de poitrine, dont il avait constamment méconnu le danger. Bürger n’est remarquable que comme poète lyrique. Il s’est essayé dans tous les genres qui appartiennent à cette branche des productions du génie ; mais il n’a éminemment réussi que dans la chanson et dans la romance. Nous pensons qu’on caractérisera assez bien son talent, en disant que son imagination est plus fraiche que riche, qu’il a plus de sensibilité que d’élévation, plus de naïveté et de bonhomie que de délicatesse et de goût. Son style brille par la clarté, l’énergie, et une élégance qui tient plutôt au travail qu’à une grâce naturelle : il a, en un mot, toutes les qualités qui plaisent au grand nombre. N’accordant le titre de poëtes qu’à ceux dont les chants étaient propres à devenir populaires, il s’accoutuma d’assez bonne heure à rejeter tout ce qui ne lui paraissait pas intelligible et intéressant pour toutes les classes de lecteurs. Toujours clair et énergique, il n’est jamais ni bas, ni trivial, et si, dans le choix des détails, on désire quelquefois plus de goût et de délicatesse, ses sentiments sont constamment nobles, et le but moral du plus grand nombre de ses poëmes tout à fait irréprochable. Quelques-uns respirent la piété et l’amour de la vertu la plus pure. Wieland a dit (Mercure allemand, ann. 1778, vol. 3, p. 95) qu’on composant sa chanson intitulée : Mænnerkeuschheit (la Chasteté de l’homme), Bürger avait mieux mérité de la génération naissante et des générations futures de sa nation, que s’il avait écrit le plus beau des traités de morale. Ce morceau a été inséré dans la plupart des recueils d’hymnes à l’usage de la communion luthérienne. On a trois éditions des œuvres de Bürger ; les deux premières parurent da son vivant, en 1778 et en 1789, 2 vol. in-8°, et la troisième après sa mort, par les soins de son ami, Ch. Reinhard, 1796-98, 4 vol. grand in-8°, fig., toutes les trois à Goettingue. La dernière offre quelques œuvres posthumes et des mélanges en prose ; chacune a des avantages qui la distinguent, et offre la même variété de chansons, d’odes, de romances, de ballades, de sonnets (qu’il s’efforça de remettre en honneur parmi ses compatriotes), et des épigrammes. Nous devons nous borner à présenter une notice historique des morceaux auxquels leur mérite ou la singularité du sujet ont procuré une grande célébrité : 1° une traduction ou plutôt une imitation du Pervigilium Veneris (Nachtfuer der Venus) : c’est un chef-d’œuvre de diction et d’harmonie rythmique. 2° Léonore, romance, qui appartient au genre que Bürger lui-même a appelé épico-lyrique : le fonds en est emprunté d’une tradition populaire, dont on retrouve les traces dans différentes contrées du Nord. (Voy. Percy, Reliques of ancient poetry, t. 5, p. 1S6 ; Monthly Magazine, septembre 1796 ; et Aage og Else, ancienne ballade danoise, publiée par le professeur Rahbek, Copenhague, 1810, in-8°.) La Léonore a été traduite en danois, en 1788 ; six fois en anglais, par Stanley, Pye, Spencer, etc. ; et de l’anglais en français, par S. Ad. de la Madeleine, en 1811[1]. La traduction de Spencer (Londres, 1796, in-fol.) est accompagnée de gravures d’après les dessins de lady Diana Beauclerc. Deux compositeurs allemands l’ont mise en musique. Burger a paru tresunécontent du grand succès de cette production de sa jeunesse. Il lui préférait un grand nombre de ses poèmes, et était le premier à blâmer l'abus puéril des onomatopées qu’il s’y était permises. S’ La Fille du ministre de Taubenhain. C’est l’histoire de la séduction et de la fin tragique d’une jeune fille. On y trouve, comme dans presque tous les poëmes de Burger, des détails de mauvais goût, mais l'ensemble produit une impression profonde. 4° Le Chasseur inhumain. 5° La Chanson du brave homme, ou l'action héroïque d’un paysan qui sauve une famille de la fureur des flots est racontée avec une sensibilité admirable. 0° Le Cantique des cantiques, conçu aux pieds des autels : 2 c’est un hymne ! la louange de Q Molly. 7° Un travestissement burlesque de la fable de Ju-

  1. Il en existe une autre traduction française par madame Pauline de B***, Paris, Michaud, 1814, in-4° de 20 p.