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que le bienfaiteur de Carnot était ainsi l’objet de sa première dénonciation. Il devint bientôt l’un des membres du comité militaire ; et, comme la principale destination de ce comité semblait être de censurer et de contrarier incessamment les actes du gouvernement, il s’acquitta de cette tâche avec beaucoup de zèle : d’abord, à l’occasion d’une émeute de la garnison de Perpignan, ou les soldats révoltés avaient forcé leurs officiers à se réfugier dans la citadelle, il demanda que toutes les citadelles fussent démolies, disant qu’elles ne sont que des postes fortifiés près des villes qu’elles commandent et qu’elles peuvent foudroyer à chaque instant. Cette motion ayant excité quelques murmures, il ne se tint pas pour battu, et fit imprimer son discours séparément et dans plusieurs journaux. Plus tard, lorsqu’il fut membre du comité de salut public, sa proposition devint un décret ; et l’on ne peut douter qu’il n’y eût beaucoup de part. Carnot parla encore plusieurs fois, dans la session législative, sur des questions militaires, d’abord pour que les sous-officiers fussent appelés à remplacer immédiatement leurs chefs émigrés, ensuite pour censurer un règlement où le ministre Narbonne avait consacré le principe d’obéissance passive pour les soldats. Et quelques jours plus tard (9 juin 1792), il s’éleva avec beaucoup de force et de raison contre les assassins du général Dillon, qui n’avaient guère fait, en égorgeant leur chef, que de suivre les conséquences des principes si hautement proclamée par Carnot et ses amis. La motion qu’il fit le 25 juillet d’armer l’infanterie de piques prouve que, très-habile théoricien, cet ingénieur n’avait pas alors sur la pratique de la guerre les notions les plus communes. Sa proposition, comme on le pense bien, fut vivement combattue ; elle fut cependant adoptée le 1er août, à la suite d’un second rapport que son frère Carnot-Feulins présenta pour lui à l’assemblée, car Lazare Carnot était alors en mission au camp de Soissons. On avait répandu le bruit que la cour avait tenté d’empoisonner les volontaires fédérés réunis sur ce point, au moyen de verre pile mis dans leur pain. Lorsqu’il se fut assuré que ce n’était qu’une de ces inventions dont les agitateurs se servent, dans de pareilles circonstances, pour irriter la population et la porter à des excès, il fit justice dans un rapport de cette fable ridicule. À son retour de cette mission, il concourut beaucoup au licenciement de la garde constitutionnelle de Louis XVI, et il prépara ainsi les événements du 20 juin et du 10 août 1792. Après la première de ces journées, il blâma hautement la cour d’avoir suspendu Péthion et Manuel, qui avaient évidemment manqué à leurs devoirs. Dans la matinée du 10 août, il fut un des commissaires que l’assemblée envoya si dérisoirement et avec tant d’hypocrisie au secours du malheureux Louis XVI. Cette députation se montra à peine dans la cour des Tuileries ; et avant qu’on eût tiré un seul coup de fusil, elle vint annoncer qu’il lui avait été impossible de pénétrer jusqu’au roi. Carnot, qui s’était séparé de ses collègues, ne rentra qu’après eux dans l’assemblée, et il y appuya de tout son pouvoir le décret de déchéance qui fut prononcé en présence de l’infortuné prince. Après cette catastrophe, il fut un des membres de la commission qui prit les rênes de l’État et qui s’empara de tous les pouvoirs. Dans la distribution des rôles, le sien fut d’aller soumettre l’armée du Rhin au nouvel ordre de choses. Il fit sans peine jurer aux troupes obéissance aux décrets, et destitua quelques officiers qui parurent tenir à leur premier serment. Il se rendit aussitôt après à la frontière des Pyrénées pour y faire aussi prêter serment par les troupes, et pour préparer la guerre avec l’Espagne, qui dès lors était regardée comme inévitable. Revenu dans la capitale, il siégea à la convention nationale, où l’avait encore nommé le département du Pas-de-Calais ; et bientôt il eut à y voter dans le procès de Louis XVI, où il opina pour la mort sans appel au peuple et sans sursis à l’exécution, déclarant que dans son opinion la justice voulait qu’il mourût, et que la politique le voulait également, mais que jamais devoir n’avait autant pesé sur son cœur... fit ensuite divers rapports sur la réunion, à la république, de Stavelo, de Tournay, de Bruxelles et d’autres contrées. Oubliant toutes les déclarations par lesquelles l’assemblée nationale avait si hautement renoncé à toute espèce de conquêtes et d’agrandissement, il dit positivement que la France ne devait plus avoir d’autres limites que le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; que tout ce qui se trouvait en deçà en avait été séparé par l’usurpation, qu’il fallait le reprendre... ; que le droit de chaque nation est de s’unir à d’autres, si elles le veulent... ; que les Français ne connaissent d’autres souverains que les peuples..., etc. Comme ce fut à cette époque (août 1795) que Carnot entra dans le fameux comité de salut public, et qu’il y eut dès le commencement la principale direction des affaires de la guerre et de la diplomatie, on ne peut pas douter que ces principes ne fussent en tout point conformes à ceux de ce nouveau gouvernement, et l’Europe ne put pas s’y méprendre. Envoyé plusieurs fois encore aux armées dans l’année 1795, Carnot se trouvait à la frontière du Nord au moment de la détection de Dumouriez, et il eut à prendre quelques mesures pour en empêcher les suites. Il était aussi présent à la victoire d’Hondschoot, et on l’y vit marcher avec courage à la tête des colonnes. Il ne déploya pas moins de valeur à Watignies, où, par ses avis autant que par son exemple, il décida l’armée républicaine à tenir ferme dans le poste le plus important, et concourut ainsi glorieusement au débloquement de Maubeuge. Après avoir acquis en peu de temps dans les nombreux événements de cette courte campagne une grande expérience, l’infatigable membre du comité de salut public retourna à son poste ; et dès lors il ne le quitta plus. Seul dans ce comité qui pût avoir quelques idées sur la guerre, il tut le souverain arbitre de tout ce qui y avait rapport. C’était sans contredit à cette époque la partie la plus importante et la plus difficile du gouvernement, puisqu’il ne s’agissait pas moins que de créer, d’armer et de diriger à la fois quatorze