Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 7.djvu/12

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tendit jamais Carnot l’attaquer. Longtemps après la chute de Maximilien, lorsqu’on, voulut poursuivre comme ses complices Barère, Collot d’Herbois et Billaud, il prit ouvertement leur défense, et déclara qu’il ne séparerait jamais sa cause de la leur. C’était de la générosité et du courage sans doute, mais n’était-ce pas avouer qu’il avait partagé leurs crimes ? Dans toute cette époque post-thermidorienne, Carnot eut peu d’influence ; cependant il fut encore réélu membre du comité de salut public ; mais il avait trop affaire de se défendre contre les attaques des ennemis de la montagne. Compromis dans la tentative que tirent les terroristes au 1er prairial au 5 (mai 1793), pour recouvrer le pouvoir, il fut dénoncé et accusé à plusieurs reprises par Gouly, Legendre, Henri Larivière, etc., qui étaient près de le faire condamner, lorsque Bourdon de l’Oise s’écria : « Décrèterez-vous d’accusation l’homme qui a organisé la victoire ? » Cette phrase le sauva ; il recouvra même bientôt assez de crédit pour être réélu député par quinze départements à la fois, puis un des cinq directeurs qui furent chargés du gouvernement dans la nouvelle constitution. Il fut élu le cinquième, a la place de Sieyès qui avait refusé. Ses quatre collègues étaient, en fait de gouvernement, et surtout de guerre, au nombre des hommes les plus médiocres que la révolution eût produits. Ainsi il se trouvait encore appelé à diriger les plus grandes et les plus importantes affaires. Mais Barras, homme grossier et cupide, qui se croyait capable de conduire les affaires de la guerre, parce qu’il avait paru à cheval dans les rues au 9 thermidor et au 15 vendémiaire, lui disputa avec beaucoup d’obstination le pouvoir militaire, tandis que les avocats Rewbel et Larevellière se montrèrent fort jaloux des affaires de l’intérieur et de la diplomatie : de telle sorte qu’il n’y eut plus que son ami Letourneur sur lequel il pût compter. Ce fut alors que, autant sans doute par opposition contre ses collègues que par conviction, il poursuivit les terroristes dans plusieurs occasions, notamment à l’affaire du camp de Grenelle. Cette direction inattendue lui valut quelques éloges dans les journaux et dans les discours de l’opposition on du parti clichyen, qui avait une grande influence, et qui était près d’obtenir la majorité dans les conseils. Carnot parut très-sensible à ces cajoleries, et se laissa peu à peu entraîner vers ce parti, auquel il était cependant bien difficile qu’il appartînt entièrement. Malgré l’opposition qu’il avait rencontrée au directoire de la part de ses collègues, c’était encore d’après ses plans que l’on conduisait la guerre ; et ce fut selon son système excentrique que l’on fit les campagnes de 1795 et 1796 sur le Rhin.(Voy. Jourdan.) Mais ces campagnes n’eurent pas le même succès que celle de 1794 ; les circonstances avaient changé : Clerfayt et l’archiduc Charles étaient d’autres hommes que le prince de Cobourg. La réputation militaire de Carnot souffrit un peu de ces revers, et il perdit encore bien plus de son crédit, lorsque Bonaparte eut commencé sa brillante carrière. On savait que c’était d’après ses propres plans que ce jeune général avait ainsi débuté, et que le directoire n’avait eu qu’à les approuver. Mais, comme il devait s’y attendre, les directeurs en prirent bientôt de l’ombrage, et des que Bonaparte eut remporté ses premières victoires, Carnot, revenant à son système d’excentricité et d’opérations divergentes, fit prendre par ses collègues un arrêté qui divisait l’armée d’Italie en deux parties : l’une devant, sous les ordres de Kellermann, faire face aux Autrichiens sur l’Adige ; l’autre, sous Bonaparte, marcher contre Rome et le royaume de Naples. Le jeune conquérant comprit aisément les directeurs, et il insista pour rester seul le maître : il offrit sa démission, et déjà son ascendant était tel, qu’il fallut lui céder. Dès lors il décida, il dirigea tout à son gré, sans en prévenir les faibles directeurs, et quelquefois même sans leur en rendre compte. Carnot lui-même savait à peine ce qui se passait en Italie ; et quand cette armée envoya dans la capitale des adresses vehémentes contre le parti des clichyens, auquel il s’était lié, lorsque le lieutenant de Bonaparte, Augereau, vint préparer la révolution du 18 fructidor, qui devait expulser ce directeur du Luxembourg, il n’en fut pas même averti, et ne sut rien prévoir, rien empêcher, au point que, surpris dans son lit par les sbires de Barras, qui venaient pour l’arrêter, il n’eut que le temps de se sauver par une porte du jardin. Condamné à la déportation le même jour, ainsi que son collègue Barthelemy et tous les chefs du parti clichyen ou royaliste, il se réfugia en Allemagne ; et là on vit le républicain inflexible écrire sous la protection des rois contre les rois eux-mêmes, s’intituler avec orgueil l’un des fondateurs de la république, et surtout se répandre en amères invectives contre ses anciens collègues, les directeurs qui l’avaient proscrit. C’est dans ce pamphlet, qu’il lit imprimer à Augsbourg, sous le titre de Réponse au rapport de Bailleul, que se trouvent ces portraits si haineux et pourtant si vrais de Barras, de Rewbel, de Larévellière et de leur ministre Talleyrand. Ce volume fut bientôt réimprimé à Paris ; et ce qui est assez remarquable, c’est qu’il l’y fut par les ordres du prétendant Louis XVIII et par les soins de ses agents, MM. Royer-Collard et l’abbé de Montesquieu. Ce prince avait jugé avec beaucoup de sagacité qu’une telle publication devait avoir sur l’opinion publique l’effet le plus decisif ; et l’on ne peut douter qu’elle n’ait beaucoup contribué à renverser les trois directeurs, d’abord au 30 prairial, puis au 18 brumaire (octobre 1799). Aussitôt après cette dernière révolution, Carnot eut la permission de rentrer en France ; et le nouveau consul le fit inspecteur général, puis ministre de la guerre ; mais, dans ce poste important, sa roideur et son inflexible probité lui suscitèrent beaucoup de tracasseries. Il eut de nombreuses querelles avec ses collègues, et surtout avec le ministre des finances. Voyant d’ailleurs que le système de gouvernement s’éloignait de plus en plus de ses principes de républicanisme, il offrit sa démission à plusieurs reprises, et la fit enfin accepter. Décide alors à vivre dans la retraite, il alla habiter une petite maison de campagne qu'il possédait près d'Etampes ; et là il ne