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fut occupé que de sciences, de littérature et de l’éducation de ses enfants. Après avoir disposé longtemps de toutes les richesses de l’État et de tous les emplois, de tous les honneurs, il était resté avec sa modeste fortune patrimoniale et le grade de chef de bataillon acquis par l’ancienneté. Pour le désintéressement, c’était un vrai Spartiate. On cite de lui un trait bien louable, et pour lequel il n’a peut-être pas eu un seul imitateur. Ayant été chargé, en 1800, de faire comme ministre de la guerre une tournée à l’armée du Rhin, il reçut en partant 50 000 francs pour ses frais de voyage, et a son retour il remit au trésor la moitié de cette somme qui lui restait... Il avait été nommé en 1795, lors de la création de l’Institut, membre de la classe des sciences mathématiques, et certes on ne peut nier que cet honneur ne fût parfaitement mérité ; cependant il en fut privé après le 18 fructidor, lors de sa proscription ; et, ce qui est bien remarquable, c’est que ce fut Napoléon Bonaparte qui prit sa place. Ce général resta sans doute étranger à cet outrage ; et nous devons dire à sa louange qu’une de ses premières pensées, après le 18 brumaire, fut de le réparer. Ainsi Carnot était rentrée l’Institut, lorsqu’il revint à la vie privée, après sa démission du ministère de la guerre, et dès ce moment il en fut un des membres les plus laborieux. Il y lut un grand nombre de rapports, de mémoires, et publia plusieurs ouvrages importants, entre autres son Traité sur la défense des places, que le ministre de la guerre son successeur l’avait invité à composer, par l’ordre de Bonaparte, et qui, malgré quelques dissidences théoriques, est devenu un ouvrage classique dans toute l’Europe. Rendu ainsi à ses premiers goûts, a ses anciens travaux, Carnot était décidé à leur consacrer le reste de sa vie, quand il fut appelé au tribunat. C’était le seul pouvoir où une ombre d’opposition pût encore se montrer. Cette position convenait parfaitement à Carnot, et il ne laissa échapper aucune occasion de s’opposer aux progrès du pouvoir absolu, d’abord en votant avec la minorité contre le consulat à vie, ensuite contre l’institution de la Légion d’honneur, enfin, seul et à la suite d’un long discours, contre l’élévation de Napoléon à l’empire. (Voy. Carion de Nisas.) Il termina cependant en déclarant que si, malgré son opinion, cette loi était adoptée, il s’y soumettrait sans murmure, parce que son système avait toujours été de rester soumis à l’ordre de choses existant. On sait que le tribunat survécut peu au renversement de la république ; Carnot n’en éprouva point de regret, et il rentra avec joie dans sa maison des champs. Il a dit lui-même que le temps qu’il y passa, occupé de sciences et de soins domestiques, fut le plus heureux de sa vie. Ne songeant à la fortune que pour sa famille, qui était nombreuse, il jouissait en vrai philosophe de la position qu’Horace a si bien nommée aurea mediocritas, lorsque Napoléon, au milieu de ses victoires sur l’Autriche, en 1809, se rappela l’homme qu’il pouvait, à bon droit, en considérer comme la cause première, et lui envoya le brevet d’une pension de 10 000 fr., que certes il n’avait pas demandée. Toutefois il alla en remercier l’empereur à son retour, et, dans une longue audience, il lui parla beaucoup de ses victoires. Napoléon, à son tour, s’entretint avec lui très-affectueusement, et il lui rappela sans aigreur sa démission, son vote au tribunat, qui d’abord lui avait donné de l’humeur, mais qui, plus tard, en y réfléchissant, n’avait fait qu’augmenter son estime ; et il ajouta : « Beaucoup de vos collègues pensaient comme vous intérieurement, mais vous avez eu seul le courage de le dire. » Et en le congédiant jusqu’à la salle d’audience : Adieu, monsieur Carnot : tout ce que vous voudrez, quand vous voudrez et comme vous voudrez. Il y avait, sans doute, dans ce peu de paroles beaucoup de gasconnade, et le décevant empereur était bien sûr de n’être pas pris au mot. Carnot retourna vivre en paix dans sa modeste demeure, et il ne demanda rien, jusqu’au moment où il vit la France envahie et le trône impérial prêt d’être renversé. Ce fut le 24 janvier 1814 qu’il écrivit à Napoléon : « Aussi longtemps que le succès a couronné vos entreprises, je me suis abstenu d’offrir à Votre Majesté des services que je n’ai pas cru lui être agréables ; aujourd’hui que la mauvaise fortune met votre constance a une grande épreuve, je ne balance pas à vous faire l’offre des faibles moyens qui me restent : c’est peu, sans doute, que l’offre d’un bras sexagénaire ; mais j’ai pensé que l’exemple d’un soldat dont les sentiments patriotiques sont connus pourrait rallier a vos aigles beaucoup de gens incertains.... Il est encore temps pour vous de conquérir une paix glorieuse, et de faire que l’amour du grand peuple vous-soit rendu... » Quelques expressions de cette lettre, surtout les dernières, étaient assez sévères ; mais Carnot n’avait jamais été flatteur, et Napoléon ne s’en offensa pas. Dans le besoin où il était de bons officiers, il l’accueillit avec empressement et l’envoya commander Anvers, celle de toutes les places à laquelle il attachait le plus d’importance. Déjà cette ville était entourée d’ennemis, et le nouveau gouverneur eut beaucoup de peine à y pénétrer. Il y trouva une garnison suffisante, dévouée et complétement pourvue de vivres et de munitions. Avec un tel homme et de pareils moyens, Anvers eût soutenu le plus long siège. Il repoussa d’abord, comme il devait le faire, les attaques et les sommations insidieuses du Prussien Bülow, puis les sollicitations, les prières de son ancien ami Bernadotte, devenu prince suédois. Enfin il soutint quatre jours de bombardement, et il n’adhéra qu’avec beaucoup de peine aux actes du gouvernement provisoire. Ce ne fut qu’après s’être bien assuré de l’abdication de Napoléon et du rétablissement de l’ancienne famille royale, qu’il consentit à reconnaître Louis XVIII. Ne voulant pas alors remettre lui-même aux étrangers le précieux dépôt qu’il avait été chargé de conserver à la France, il se hâta de revenir dans la capitale ; et ce qui fut véritablement fait pour étonner, c’est qu’il voulut anussitôt être admis devant le roi et les princes. Prenant à la lettre et dans leur sens le plus étendu les mots