Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 7.djvu/14

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union et oubli que Louis XVIII venait de prononcer, l’ancien ennemi des rois, le juge de Louis XVI voulut que le frère de ce malheureux prince, que sa fille même, l’accueillissent comme ils eussent fait de tout autre général, de tout autre chef de l’armée française ; et, parce qu’il éprouve quelque froideur, parce qu’on ne lui fit pas ouvrir à l’instant les deux battants de la porte royale, il sortit courroucé, et saisissant sa plume, il écrivit, sous le titre de Mémoire au roi, le plus violent, le plus amer des libelles que la restauration ait essuyés. Ce n’était pas seulement une justification, une apologie du régicide, c’était une attaque très-vive, une longue diatribe contre toutes les institutions, contre tous les amis de la monarchie que l’on rétablissait. L’auteur a déclaré que ce fut sans sa participation, même contre sa volonté, que l’on imprima et que l’on publia un tel pamphlet ; ses amis sont allés jusqu’à dire que c’était la police royale qui avait fait elle-même tout cela… Ce qu’il y a de sûr, c’est que les ennemis de cette naissante restauration, qui dès lors étaient fort audacieux, considérèrent ce libelle comme un très-bon moyen d’agression, qu’il fut imprimé en très-grand nombre, colporté, crié dans les rues sous le nom et en présence de Carnot, et que tous les journaux, toutes les brochures qui parurent depuis contre le gouvernement en empruntèrent, en copièrent les pensées et jusqu’aux expressions. Ainsi on ne peut nier que le Mémoire au roi n’ait beaucoup contribué à préparer les événements du 20 mars 1815. L’auteur s’est néanmoins vivement défendu de toute espèce de concours aux intrigues qui précédèrent cette révolution. Quoi qu’il en soit, des que Napoléon fut rentré aux Tuileries, il y fit appeler son ancien ministre, et ce ministre, autrefois si difficile, si peu malléable, accepta sans hésiter le titre de comte, celui de pair de France et le portefeuille de l’intérieur. Il est bien vrai, que Napoléon eut l’adresse de lui faire croire qu’il avait changé de système ; que, renonçant à ses projets de conquête et de monarchie absolue, il allait gouverner avec des idées libérales, même républicaines. Se croyant encore aux premiers jours de la révolution, Carnot revint avec joie à toutes ses vieilles utopies, et il s’efforça de donner à la liberté de la presse la plus grande latitude, d’armer et de multiplier les gardes nationales, les fédérés, etc. Dans son enthousiasme, il écrivait à Napoléon : « Le 20 mars doit nous faire remonter tout d’une haleine.au 14 juillet…[1] ». Mais l’illusion ne fut pas longue, et lorsque l’empereur partit pour sa dernière campagne, les républicains ne doutaient déjà plus que sa première victoire ne dut le soustraire à leur influence. Carnot fit néanmoins encore tous ses efforts pour soutenir l’empereur, mais c’était moins par attachement pour sa personne et son gouvernement que par la crainte du retour des Bourbons, qu’il redoutait par-dessus tout. C’est lui qui vint annoncer à la chambre des pairs le désastre de Waterloo, et il eut, à cette occasion, une vive altercation avec le maréchal Ney. Ce fut un spectacle bien étonnant, un contraste remarquable, que celui qu’offrit, dans cette circonstance, le désespoir d’un guerrier si longtemps appelé le brave des braves, avec le calme, la fermeté et le véritable courage de l’impassible conventionnel. Jusqu’au dernier moment, Carnot ne parut désespérer de rien, et seul, au milieu de la consternation universelle, il songea aux moyens de salut. Persuadé que, dans une telle crise, le nom et la valeur de Napoléon pouvaient seuls encore sauver la chose publique, il s’opposa vivement à l’abdication, et, ce qui est bien remarquable de la part de l’ancien tribun qui seul avait osé voter contre l’élévation du trône impérial, on le vit, en 1815, lorsque cette abdication fut prononcée, se cacher le visage dans ses mains pour répandre des larmes. Il consentit encore alors à être un des cinq membres de la commission du gouvernement. Mais ce pouvoir éphémère n’eut que le temps d’accepter la capitulation de Paris et d’envoyer derrière la Loire les débris de l’armée. Après d’inutiles efforts pour que Napoléon pût reprendre le commandement des troupes, Carnot lit tout ce qui dépendait de lui pour hâter son départ et le diriger vers l’Amérique du Nord. Aussitôt après le retour du roi, il se retira eucore une fois à sa maison de campagne, et ce fut là qu’il reçut l’ordre de se rendre en surveillance à Blois, comme inscrit sur une liste de proscription qu’avait dressée son collègue Fouché. Mais des hommes puissants prenaient intérêt à son sort : l’empereur Alexandre surtout adressa pour lui plusieurs représentations au gouvernement royal, et, lorsqu’il les vit inutiles, ce prince lui fit donner un passeport pour ses États. Carnot se rendit à Varsovie, où le grand-duc Constantin l’accueillit avec beaucoup d’égards. Il fut aussi reçu par les patriotes polonais avec de grandes démonstrations de sympathie et


  1. Ici doit être recueilli un document historique peu connu, c’est la minute, de la main de Carnot, d’une lettre et de deux projets de décrets adressés à Napoléon, après la proclamation du fameux acte additionnel. Ces pièces prouvent plus que toute autre chose à quel point Carnot se faisait illusion, et combien il connaissait peu celui a qui il écrivait ainsi : « Sire, veuillez en croire un homme qui ne vous a jamais trompé, et qui vous est sincèrement dévoué. — La patrie est en danger ; le mécontentement est général ; la fermentation augmente sans cesse dans les départements comme à Paris ; la guerre civile est près d’éclater dans plusieurs parties de la France. — Je propose à votre Majesté deux projets de décrets que je crois propres à rétablir le calme et à vous ramener la masse des citoyens : il faut qu’ils soient rendus proprio motu, et non sur le rapport d’aucun ministre ni délibération du conseil d’État. Il serait à souhaiter qu’ils fussent attachés dans la journée. Je suis avec, etc. Signé Carnot. » Suit la minute des deux projets de décrets : à Napoléon, empereur des Français, etc. « Notre intention étant de ne laisser subsister aucune trace de la féodalité, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : À dater de la publication du présent décret, les dénominations de sujet et de Monseigneur cesseront d’être en usage parmi les Français.» Napoléon, empereur des Français, etc. La liberté de la presse nous ayant fait connaître que le vœu du peuple français indique de nouvelles améliorations dans l’acte constitutionnel proposé à son acceptation, nous avons décrété et décrétons ce qui suit : Art. 1. La chambre des représentants statuera, de concert avec nous, dans sa prochaine session, sur les modifications dont l’acte constitutionnel est susceptible pour son perfectionnement. — Art.2. La nouvelle rédaction de cet acte sera soumise à l’acceptation du peuple dans ses assemblées primaires. » Napoléon ne suivit pas le conseil de son ministre, et il aima mieux tomber en souverain absolu que de rester roi sans sujets.
    V-ve.