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Page:Michaud - Biographie universelle ancienne et moderne - 1843 - Tome 8.djvu/284

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campagne de Cicéron, et sur le terrain de sa maison de Rome, il consacra un temple à la liberté. Une partie de ses meubles fut mise à l’encan, mais il ne me présenta point d’acheteurs ; le reste devint la proie des deux consuls qui s’étaient associés à la haine de Clodius. La femme même et les enfants de Cicéron furent exposés à l’insulte et à la violence. Ces désolantes nouvelles venaient sans cesse irriter l’affliction du malheureux exilé, qui, perdant toute espérance, se défiait de ses amis, se plaignait de sa gloire, et regrettait de ne s’être pas donné la mort, montrant qu’un beau génie et même une grande âme ne préservent pas toujours de la plus extrême faiblesse. Cependant il se préparait à Rome une heureuse révolution en sa faveur. L’audace de Clodius, élevant trop haut, et s’étendant à tout, devenait insupportable à ceux même qui l’avaient protégée. Pompée encouragea les amis de Cicéron a presser son rappel. Le sénat déclara qu’il ne s’occuperait d’aucune affaire avant que le décret du bannissement fût révoqué. Clodius redoubla vainement de fureur et de violence. Dés l’année suivante, par le zèle du consul Lentulus, et sur la proposition de plusieurs tribuns, le décret de rappel passa dans l’assemblée du peuple, malgré un sanglant tumulte où Quintus, frère de Cicéron, fut dangereusement blessé. On vota des remerciements aux villes qui avaient reçu Cicéron, et les gouverneurs de province eurent ordre d’assurer son retour. C’est ainsi, qu’après dix mois d’exil, il revint en Italie avec une gloire qui lui parut à lui-même un dédommagement de son malheur. Le sénat en corps l’attendit aux portes de la ville, et son entrée fut un triomphe. La république se chargea de faire rétablir ses maisons ; il n’eut à combattre que pour démontrer la nullité de la consécration faite par Clodius. Au reste, ce retour devint pour Cicéron, comme il l’avoue lui même, l’époque d’une vie nouvelle, c’est-à-dire d’une politique différente. Il diminua sensiblement l’ardeur de son zèle républicain, et s’attacha plus que jamais à Pompée, qu’il proclamait son bienfaiteur. Il sentait que l’éloquence n’était plus dans Rome une puissance assez forte par elle-même, et que le plus grand orateur avait besoin d’être protégé par un guerrier. Le fougueux Clodius s’opposait à force ouverte au rétablissement des maisons de Cicéron, et l’attaqua plusieurs fois lui-même. Milon, mêlant la violence et la justice, repoussa Clodius par les armes, et en même temps l’accusa devant les tribunaux. Rome était souvent un champ de bataille. Cependant Cicéron passa plusieurs années dans une sorte de calme, s’occupant à la composition de ses traités oratoires, et paraissant quelquefois au barreau, où, par complaisance pour Pompée, il défendit Vatinius et Gabinius, deux mauvais citoyens qui s’étaient montrés ses implacables ennemis. Valère-Maxime cite ce fait comme l’exemple d’une genérosité extraordinaire. A l’âge de cinquante-quatre ans, Cicéron fut reçu dans le collège des augures. La mort du turbulent Clodius, tué par Milon, le délivra de son plus dangereux adversaire. On connaît la belle harangue qu’il fit pour la dé

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fense du meurtrier, qui était son ami et son vengeur ; mais il se troubla en la prononçant, intimidé par l’aspect des soldats de Pompée, et par les cris des partisans de Clodius. À cette même époque, un décret du sénat nomma Cicéron au gouvernement de Cilicie. Dans cet emploi, nouveau pour lui, il fit la guerre avec succès, repoussa les troupes des Parthes, s’empara de la ville de Pindenissum, et fut salué par ses soldats du nom d’Imperator, titre qui le flatta singulièrement, et dont il affecta de se parer, même en écrivant à César vainqueur des Gaules. Cette petite vanité lui fit briguer les honneurs du triomphe, et il porta le faiblesse jusqu’à se plaindre de Caton, qui, malgré ses instantes prières, avait refusé d’appuyer ses prétentions. Quelque chose de plus estimable et peut-être de plus réel que sa gloire militaire, ce furent la justice, la douceur et le désintéressement qu’il montra dans toute son administration. Il refusa les présents forcés que l’on avait coutume d’offrir aux gouverneurs romains, réprima tous les genres de concussions, et diminua les impôts. Une semblable conduite était rare dans un temps où les grands de Rome, ruinés par le luxe, sollicitaient une province pour rétablir leur fortune par le pillage. Quelque plaisir que Cicéron trouvait dans l’exercice bienfaisant de son pouvoir, il souffrait impatiemment d’être éloigné du centre de l’empire, que la rupture de César et de Pompée menaçait d’un grand événement. Il partit aussitôt que sa mission fut achevée, et retrouva dans sa patrie l’honorable accueil qui l’attendait toujours ; mais comme il le dit lui-même, à son entrée dans Rome il se vit au milieu des flammes de la discorde civile. Il s’était empressé de voir et d’entretenir Pompée qui commençait à sentir la nécessité de la guerre, sans croire encore a la grandeur du péril, et qui, résolu de combattre César, opposait avec trop de confiance le nom de la république et le sien aux armes d’un rebelle. Cicéron souhaitait une réconciliation, et se nourrissait de la flatteuse pensée qu’il pourrait en être le médiateur. Cette illusion peut s’expliquer par l’amour de la patrie autant que par la vanité. Le sage consulaire envisageait la guerre civile avec horreur ; mais il aurait dû sentir que, si le mal était affreux, il était inévitable. Du reste, ne cherchons pas un sentiment faible et bas dans le cœur d’un grand homme, et ne le soupçonnons pas d’avoir voulu ménager César, puisqu’enfin il suivit Pompée. César marcha vers Rome, et son imprudent rival fut réduit à fuir avec les consuls et le sénat. Cicéron, qui n’avait pas prévu cette soudaine invasion, se trouvait encore en Italie, par irrésolution et par nécessité. César le vit à Formies, et ne put rien sur lui. Cicéron, convaincu que le parti des rebelles était le plus sûr, ayant pour gendre Dolabella, l’un des confidents de César, alla cependant rejoindre Pompée. Ce fut un sacrifice fait à l’honneur ; mais il eut le tort d’apporter dans le camp de Pompée les craintes qui pouvaient l’empêcher d’y venir. Il se hâta de désespérer de la victoire, et dans son propre parti, il laissa entrevoir cette défiance du succès qui ne se pardonne pas, et cette prévention défavorable contre les hommes et contre les choses,