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LA MISÈRE

19 Angèle eut un sourire qui en disait long. Auguste poursuivit : — IL veut que tu reviennes et il faut que tu y retournes. Tu vois bien qu’avec cinq francs par jour, nous ne pouvons pas vivre à sept. Nous sommes sept maintenant, songe un peu. Le patron a dit que, pour toi, il ferait des sacrifices. Angèle garda le silence. Elle se pencha sur la petite Lize et se mit à l’embrasser fièvreusement. Tu ne réponds pas ? demanda Auguste. — J’ai déjà répondu à maman. Je ne veux pas. — Pourquoi ? Parce que ! M. Rousserand est la crème des hommes. Qu’as-tu donc contre lui ? — Rien ! Mais alors ! — L’odeur de la tannerie me suffoque. sœur, Comment ? Mais nous y sommes nés dans la tannerie. Angèle, ma petite tu ne dis pas la vraie raison. · Possible. Laisse-moi la paix. Tu n’as pas besoin de faire le finaud. Tu sais que j’ai ma tête aussi, quand j’ai dit non c’est non. · Fallait toujours le dire, alors !… Sous ce coup de fouet, Angèle devint très pâle. Elle ferma les yeux pour ærrêter les larmes qui bientôt filtrèrent à travers ses longs cils d’or bruni, et ruisselèrent sur ses joues. Pardon ! oh ! pardon ! cria Auguste prêt à pleurer lui-même. Je ne voulais pas t’offenser, je suis une brute. — Non, dit Angèle, tu ne sais rien, mais tu fais ton devoir, toi ; moi je fais aussi le mien en refusant de… quitter ma petite pour aller travailler dehors. Alors, ce n’est pas à cause de M. Rousserand ? Quelle idée ! Le tiens-tu pour un honnête homme ou pour une canaille ? — Oh ! pourquoi nous occuper de lui ? demanda Angèle dont les lèvres tremblaient. Pourquoi ?… Elle n’acheva pas. Auguste était déjà dans l’autre pièce, remuant quelque chose comme de la ferraille. La mère, avec un paquet de linge mouillé sur l’épaule, rentrait en ce moment. Elle vit son fils cacher sous sa blouse quelque chose de long qu’il avait pris dans les outils de son père. Elle pensa que c’était une étire dont quelque camarade avait besoin et n’y fit pas attention. Auguste avait les pieds trempés. Ses galoches buvaient l’eau comme des éponges. Il les jeta dans un coin et essaya une vieille paire de souliers qui avaient appartenus à son père. Ils lui allaient presque Auguste se sentait homme. Il sortit. Mme Brodard monta au grenier étendre son linge et y passa deux heures à chercher de quoi faire un petit jupon à Liza. Enfant de malheur ! ça venait comme un chou. C’était si rose, si blanc, ça