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Page:Michel - La misère.pdf/285

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LA MISÈRE

C’est vrai tout de même, que ce doit être embêtant d’être seul. Ame qui vive n’a donc voulu de votre amitié ? - Non, jamais ! jamais ! Eh mais ajouta le vieux avec un sourire qui donna froid à Auguste, je metrompe, quelqu’un a essayé de me faire connaître les douceurs de… l’affection, et je serais vraiment un ingrat de ne pas m’en souvenir. Tu vas voir. « Une fois, je m’étais échappé de la Petite-Roquette. Au fond de ma cellule j’avais combiné dans ma tête une foule de plans, dont le moindre devait me donner l’indépendance : 1° je pouvais vendre du mouron pour les petits oiseaux ; 2° des allumettes. » Comment ça, des allumettes ? >> , « <-> — Eh oui, dans ce temps-là c’était un commerce à la portée de tous les crève-faim ; aujourd’hui, c’est plus ça. Mais revenons à mon voyage dans le pays de l’amitié. 3º En voiant quelques petites choses aux étalages, je pouvais m’établir marchand de contremarques. » Le petit Brodard fit un mouvement. Eh, » dit le vieux, « ne fais donc pas comme ça le dégoûté. Comment veux- tu qu’une pauvre graine de misère de mon espèce ait pu faire des projets d’avenir sans y mettre le vol à la clef ? Quand on n’a sur la terre ni bien, ni parent, ni rien de rien, je te l’ai dit et je te le répète, on en prend où l’on en trouve. Pas moyen de faire autrement, mon petit. - — Mais le travail ? » objecta timidement Auguste. Le travail innocent ! Est-ce que tous ceux qui en ont besoin pour vivre en peuvent avoir pour cette raison ? Tiens, tu me fais suer, avec ton travail. Ne me regarde pas de cet air bête ; tu as l’air d’une image dé la morale en actions. Écoute, tu feras tes réflexions après. « Naturellement, comme c’est dans la fatalité de ma vie, ou peut-être dans la force des choses, rien de ce que j’avais rêvé ne fut possible, pas même de voler une orange pour apaiser la soif qui vous brûle le gosier, quand la faim vous a assez tordu les boyaux. « J’avais voulu travailler sur le port, décharger des pierres. Il paraît que c’était là une prétention insensée. On me le fit bien voir et les portefaix me le firent même sentir à coups de pied quelque part. Un des plus robustes s’amusa à m’écrire à l’encre bleue, sur la figure, que le droit au travail n’était pas compris dans les droits du dernier venu. « Je n’osais pas demander l’aumône car la prison était au bout du flagrant délit de mendicité, et je redoutais ça plus que la mort. » - « Alors, un soir que j’avais trop faim, me voyant dans cette ville immense où il n’y avait pour moi d’autre abri qu’une prison ; d’autre travail que le vol c’est- à-dire encore et toujours la prison — je résolus de dire bonsoir la compagnie et, dans cette idée, je m’en fus à la Morgue pour voir si les pensionnaires de l’endroit ne s’y trouvaient pas trop mal. « Il y avait sur le matelas de pierre un jeune homme, un ouvrier qu’on venait