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LA MISÈRE

349 << La nuit était venue, elle était sombre et tiède. La machine à vapeur ne marchait plus. La maison était enveloppée de silence et de calme. » « Le marquis s’accouda sur la table et, dans une rêverie poignante, attendit l’arrivée de l’homme d’affaires. » « Il se demandait quelle faute commise, quel devoir oublié, quel mauvais sentiment punissait, en lui, la foudre qui venait de mettre son bonheur en cendres. Mais il avait beau sonder les plus secrets replis de sa conscience, il n’y trouvait rien qui lui parût mériter, même l’éclaboussure de ce coup de tonnerre. » « Jusqu’au moment où l’amour était venu remplir de sève toutes ses facultés, il avait vécu dans l’innocence. Depuis, la vertu avait été l’autel sur lequel fumait l’encens de son cœur. » « A la fois lumière et chaleur, l’amour en lui montrant le double but de la vie, lui avait donné la force et la volonté d’y marcher. Maintenant, le flambeau était devenu brandon et brûlait tout ce qu’il avait fait sortir de l’ombre. >> << Toutes les pensées de Gustave se heurtaient dans un effroyable pêle-mêle, l’enchevêtraient comme des combattants sur un champ de bataille. »

  • Cela dura deux heures. >>

« Madozet vint faire diversion à cette horrible fantasmagorie. > L’homme d’affaires avait toujours la même mine rusée ; seulement, les désenchantements de la vie, dont la coupe amère est aussi bien pressée par les lèvres du vice que par celles de la vertu, avaient jeté leur teinte de fatigue sur la figure de l’ancien régisseur. Le temps avait donné du relief à la finesse audacieuse qui était le fond de la physionomie de Madozet. » > Monsieur, » lui dit Gustave, « je consens à vous vendre le marais, dont le dessèchement et les plantations m’on coûté plus de quatre cent mille francs. C’est déjà divisé par lots, que je comptais donner à chaque famille de la commune. Vous pourrez les leur vendre. Prenez aussi le château, ses dépendances, ses maisonnettes, ses machines, en un mot, tout ce que je possède à Saint-Bernard. Le tout pour un million à me payer dans un an. Cela vous convient-il ? > Cela me convient, » répondit Madozet. impassible… «  «  Nous passerons le contrat tout de suite, sous signature privée. » « — Très bien ! C’est aussi bon que devant notaire. >> L’homme d’affaires écrivit. Il ne fallut pas plus d’un quart d’heure pour changer les destinées de Saint-Bernard, et comme l’avait dit Jean-Louis, mettre a spéculation à la place de l’amour, substituer l’intérêt d’un seul à l’intérêt du nombre. >> << Pourquoi ? » « C’est qu’une femme jeune, belle, adorée, spirituelle et bonne, ayant de quoi satisfaire toutes les aspirations d’une âme généreuse, avait rêvé qu’il lui manquait quelque chose et toutes les riantes perspectives qui s’ouvraient hier devant une petite portion d’humanité, disparaissaient emportées dans un tourbillon de vengeance et de haine, se fondaient dans la volonté d’un homme en délire. » > « Voilà les fruits possibles de la philanthropie, tant que l’opinion publique