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LA MISÈRE

391 M. de Saint-Cyrgue était rêveur. Il se leva, offrit son bras à sa jeune cousine, et tous deux descendirent à la salle à manger. Une douzaine d’hommes étaient déjà attablés, et M. Nicolas parmi eux. Il se leva et salua M. de Saint-Cyrgue, en lui faisant une place auprès de lui. Ils se donnèrent une poignée de mains. Mon cher Gontrand, lui dit le millionnaire, permettez-moi de vous présenter à ma jeune parente, Me Blanche de Méria. Il se tourna vers l’institutrice : M. le comte d’Espaillac, le fils d’un de mes bons amis. A la vue de Mlle de Méria, Nicolas baissa les yeux et tout rougissant se rassit en silence. Il paraissait en proie à la plus vive émotion. Blanche avait poussé une légère exclamation, mais bientôt elle s’était remise, mangeant de bon appétit, tandis que son voisin touchait à peine aux mets qu’on lui servait. Elle semblait fort tranquille, causait à demi voix avec une grande liberté d’esprit. Nicolas, visiblement embarrassé, se leva de table avant la fin du repas. La présence de Mlle de Méria le bouleversait. Est-ce que vous connaissez ce jeune homme ? demanda M. de Saint-Cyrgue. — Un peu. Au temps où mon frère tenait encore un rang à Paris, je l’ai quelquefois rencontré dans le monde. Qu’est-il

?

Rien. Comment ! Rien ?… Ne porte-t-il pas un des plus grands noms de notre aristocratie ? · J’en conviens, fit Blanche avec un imperceptible sourire. Le millionnaire poursuivit : · Les d’Espaillac sont de la plus ancienne, de la plus vaillante noblesse de France. Est-ce qu’à vos yeux, cher cousin, un nom serait un titre. Je ne prétends pas cela. Est-ce que des parchemins constitueraient pour vous un mérite quelconque ? Vous avez trop bonne opinion de moi, je suppose, pour m’attribuer une semblable manière d’envisager la naissance. Mais, appartenir à une famille dans laquelle règnent l’amour de la justice et le respect de soi est une des conditions éducatives les plus favorables au développement moral de l’individu. Si tel était le milieu dans lequel a vécu le vicomte d’Espaillac, je crains qu’il n’en ait pas profité ! Votre vue a paru lui causer un certain malaise. Blanche prit un air embarrassé. M. de Saint-Cyrgue ne poussa pas plus loin ses questions. Il savait à quoi s’en tenir. La joie lui montait du cœur aux lèvres. Voilà ce qu’il cherchait. S’il avait eu une fille, l’eut-il souhaitée autrement ?

? Il souriait. Il semblait heureux. La sympathie se lisait sur son visage.

Mule de Méria se retira pleine d’espoir. M. de Saint-Cyrgue l’avait priée de lui amener son frère le lendemain. Elle venait de faire un pas décisif dans le chemin