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COMME JADIS…

avec la graisse de pichous, de coyotes, de toutes les bêtes trappées par son mari, chaussait tout son monde de souliers de bœuf qu’elle taillait et cousait elle-même, tressait de larges chapeaux de paille pour l’été, faisait de chaudes « couvertes » du poil de lapins que les petites mains épilaient ; bien entendu, elle cousait les vêtements de la famille, lavait, repassait et trouvait encore le temps de tresser et de coudre « des catalognes… »

La jeune maîtresse d’école m’a écoutée, hochant la tête de temps à autre ; et comme, en somme, c’est une histoire banale qu’elle pourrait entendre raconter par toute autre femme du village, elle s’est levée tout d’un coup.

— Il est tard, je dois partir.

Je l’accompagne jusqu’à notre barrière qui est à un quart de mille de la maison. Elle a passé le bras dans la bride de sa jument. Darky marche sur mes talons, suivant son habitude.

Tout à coup ma compagne a une exclamation !

— Je vous assure qu’elles n’y étaient pas lorsque je suis passée il y a une heure.

De son bras libre, tendu, elle me désigne une frêle dentelle d’un vert délicat estompant à peine les branches des deux trembles qui montent la garde de chaque côté de la barrière.

— Nos arbres ont des feuilles !… Nos arbres ont des feuilles !…

Je retrouve une joie enfantine à les saluer, et