Page:Michelet - La Mer, 1875.djvu/253

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ficiles veut un lieu de profonde paix. Ainsi que le noble éléphant, qui craint les yeux profanes, la baleine n’aime qu’au désert. Le rendez-vous est vers les pôles, aux anses solitaires du Groënland, aux brouillards de Behring, sans doute aussi dans la mer tiède qu’on a trouvée près du pôle même. La retrouvera-t-on ? On n’y va qu’à travers les défilés horribles que la glace ouvre, ferme et change à chaque hiver, comme pour empêcher le retour. Pour eux, on croit qu’ils passent sous les glaces, d’une mer à l’autre, par la voie ténébreuse. Voyage téméraire. Forcés de venir respirer de quart d’heure en quart d’heure, quoiqu’ils aient des réserves d’air qui peuvent leur suffire un peu plus, ils s’exposent beaucoup sous cette énorme croûte percée à peine de quelques soupiraux. S’ils ne les trouvent à temps, elle est si dure et si épaisse, que nulle force, nul coup de tête la briserait. Là on peut se noyer aussi bien que Léandre dans l’Hellespont. Ne sachant cette histoire, ils s’engagent hardiment et passent.

La solitude est grande. C’est un théâtre étrange de mort et de silence pour cette fête de l’ardente vie. Un ours blanc, un phoque, un renard bleu peut-être, témoins respectueux, prudents, observent à distance. Les lustres et girandoles, les miroirs fantastiques, ne manquent pas. Cristaux bleuâtres,