Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/129

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les soldats répartis dans la commune, on n’était pas embarrassé. Toutes les filles du village d’un côté, de l’autre les soldats, tiraient des numéros ensemble. Le numéro 1 des soldats épousait le numéro 1 des filles ; c’était tout l’arrangement. Il y eut des révoltes effroyables. Les Cosaques montrèrent une indomptable opposition à ces brutalités. Le bâton, le knout, n’y firent rien. Ils se laissaient mettre en morceaux, mais n’obéissaient pas.

Ce qui n’est pas moins remarquable et fait un honneur infini au cœur des Russes, c’est l’impression qu’ils ont reçue des infortunes de la Pologne. Nous l’avons vu déjà au moment où Kosciusko fut relevé du champ de bataille. Mais c’est surtout dans les Mémoires de son compagnon Niemcewicz qu’il faut lire les commencements de cette réaction morale. Les soldats russes qui le gardaient n’avaient de confident que leur prisonnier polonais. La nuit, non sans péril, ils venaient près de lui, soupirer et gémir, lui dire leurs vœux, lui demander si l’on n’abrégerait jamais le service militaire, et s’ils reverraient leurs pauvres maisons.

Voilà comme la Pologne pénètre, envahit l’âme russe. Un seul Polonais prisonnier dans une citadelle, un seul incorporé dans un régiment, ébranle et trouble tout. Il n’a pourtant rien dit, cet homme. Qu’a-t-il fait ? Bien. Il a gémi la nuit. Et dès lors l’ébranlement moral a commencé, il va, il gagne. L’on songe, l’on raisonne. — C’est un homme pourtant, ce prisonnier,