Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/130

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il souffre, il n’a pas l’air coupable. — Du jour où le soldat s’est dit cela et mis à réfléchir, dès ce jour, je le dis, son cœur est en révolte.

Sur quoi fut bâti cet empire ? Sur la foi, sur une foi brutale, barbare, aveugle, sans pitié, même pour soi, qui entraînait l’anéantissement de l’esprit et de la personne. Quand ce boyard empalé par Iwan criait pendant deux jours de son effroyable agonie : " mon dieu, sauvez le czar ! " alors, sans doute, l’empire russe était ferme.

Par quoi chancelle-t-il ? Je le dis, par le doute. Il est entré en lui. Et ce qui honore la nature humaine, c’est que la pitié y a fait autant que le reste.

Tout le monde connaît, au moins par les gravures, le sanctuaire de la Russie, le Kremlin, ces massives et bizarres constructions, ces palais monstres, où respire le génie mongol, et qu’on serait tenté d’appeler une pétrification de la Terreur. Ces monstres du monde des fées vivaient, ce semble, et sont devenus pierres en voyant Iwan le Terrible. En vain Napoléon y a porté la main, en vain l’effroyable incendie enveloppa le Kremlin de ses flammes : il était resté ferme… De nos jours, il faiblit, sa base de granit chancelle, et par moments la sublime flèche paraît ivre, elle branle… Pourquoi ? ah ! pour bien peu de chose. Un souffle dans ses fondations, une plainte aux caveaux de ses églises, un sourd gémissement aux tombes impériales… Tout le monde l’a entendu, hors un seul… Cette chose faible et forte,