Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/131

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qui fait trembler les tours, qu’est-ce donc ?? Un soupir.

Soupir sacré de la nature contre un monde dénaturé, gémissement mêlé des douleurs de deux nations !… Il ne s’est pas enfermé là ; il a monté, grossi comme une trombe… Il ne s’est pas perdu aux forêts, aux marais, il s’en est emparé, et les forêts se sont mises à gémir, les eaux à sangloter, les sapins à pleurer !

Prenez garde, cet homme insouciant, léger et mélancolique à la fois, qui chantait au travail sa chanson monotone, il a assez chanté, il songe, et il est entré.en pensée. Il pensera désormais et toujours.

Et toute sa pensée, je vais vous la dire d’un seul mot, qui la résume toute, et le grand changement qui se fait depuis trente années dans sa condition : né serf, il meurt esclave.

Serf, il avait pied et racine en la terre ; il était arbre, résigné comme l’arbre ; il végétait misérable et paisible ; l’imprudente tyrannie de ses maîtres l’a déraciné.

Les seigneurs, détachant des parties de leurs biens pour vente ou pour partage, ont cru ne couper que la terre, et ils ont coupé l’homme. Il vivait moins en lui qu’en la commune ; ils ont brisé cet ensemble vivant où s’harmonisait, dans un communisme immémorial, toute la vie du paysan russe. La terre passant de main en main dans le cercle delà commune, comme la coupe circule au banquet, c’était le fonds moral du Slave.