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Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/132

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Ce n’est pas tout. La commune brisée et la terre divisée, ils lui ont raccourci sa part de cette terre. " Si ta famille est trop nombreuse, va, va chercher ton pain, charpentier, jardinier, batelier du Volga ; va, et rapporte-nous l’argent. "

Cela est dur, injuste. S’il était serf, c’était serf de la terre, non-serf mobile, mais serf dans la famille, dans la commune, entouré des consolations, des adoucissements du travail commun ; n’importe, il se résigne, il va.- Il revient fidèle, il rapporte… Mais alors, ce n’est pas assez ; ils ont bâti d’immenses maisons, l’horreur des russes, d’affreux bagnes, qu’ils appellent des fabriques, des manufactures, où les hommes vendus viennent travailler et mourir sous le fouet. Vendus ? non, je me trompe, l’empereur philanthrope a défendu qu’on vende ; on loue un homme pour quatre-vingt-dix ans !

Pauvre race, douce, faible, toute dominée par les sentiments naturels, qui avait vu l’État dans la famille, et dans le maître un père !… C’était un spectacle risible et touchant, quand un nouveau seigneur arrivait au village ; ils pleuraient tous de joie : " petit, père ! " criaient-ils, ils se jetaient à genoux, lui racontaient leurs maux, toutes les affaires de leurs familles ; plusieurs à haute voix se confessaient à lui.

Le père des pères, le czar ! qu’était-ce donc, grand Dieu ? ils confondaient dans leurs prières le czar du monde et le czar du ciel.