Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/133

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Ce sentiment filial, si fort dans l’âme russe, à quelles terribles épreuves n’a-t-il pas été mis ? Est-il père, ce seigneur avide qui vend ses hommes ? Est-il père, ce czar qui protège si peu, qu’on aime mieux être serf que libre ?

Ce monde qui perd peu à peu son idée, sa base antique, la paternité, ne s’asseoit pas encore sur la base nouvelle, la loi, le gouvernement de l’homme par lui-même.

O désert, ô vide, ô néant ! Plus de père. Pas encore la loi.

Moins désolés, ces grands plateaux tartares où la terre nue, salée, stérile, n’a rien de la nature que l’aigre sifflement du vent de Sibérie.

Le gouvernement russe produit en ce moment une chose terrible. En maintenant une séparation absolue et comme un cordon sanitaire entre les populations russes et le reste du monde, il n’empêche nullement ces populations de perdre leur ancienne idée morale, et il les empêche de recevoir l’idée occidentale qui les replacerait sur une base nouvelle. Il les tient vides et nulles moralement, sans défense contre les suggestions du mauvais esprit et la tentation du désert.

Quand on dit qu’un de nous, Occidentaux, est douteur, sceptique, cela n’est jamais vrai absolument. Tel peut être douteur en histoire, qui est ferme croyant en chimie, en physique. Tout homme ici a foi en quelque chose ; l’âme n’est jamais vide. Mais là, dans ce