Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pensée impie d’en détruire une, de briser à jamais la sublime harmonie calculée par la Providence.

Ces tentatives abominables furent toujours impuissantes. Les nations dont on croyait supprimer l’existence ont refleuri, toujours vivantes, indestructibles. Un despote a pu dire, dans un accès de colère puérile : " je supprime la suisse. " M… Pitt a dit de la France : " elle sera un blanc sur la carte. " L’Europe entière, les rois avec les papes, profitant du mortel sommeil où semblait plongée l’Italie, ont cru la démembrer, la couper en morceaux ; chacun mordit sa part ; ils dirent : " elle a péri. " Non, barbares, elle ressuscite ; elle sort vivante, entière, de vos morsures. Elle sort rajeunie du chaudron de Médée ; elle n’y a laissé que sa vieillesse ; la voici jeune, forte, armée, héroïque et terrible. La reconnaissez-vous ?

Savez-vous bien, meurtriers imbéciles, pourquoi nulle de ces grandes nations ne peut périr, pourquoi elles sont indestructibles, sinon invulnérables ?

Ce n’est pas seulement parce que chacune d’elles, dans son glorieux passé, dans les services immenses rendus au genre humain, a sa raison morale d’exister, sa légitimité et son droit devant Dieu ; mais c’est aussi, c’est surtout parce que l’Europe entière n’étant qu’une personne, chacune de ces nations est une faculté, une puissance, une activité de cette personne ; en sorte que, s’il était possible de supposer un moment qu’on tue une nation, il arriverait à l’Europe,