Page:Michelet - La Pologne martyr, Dentu, 1863.djvu/61

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Telle est l’image de la violente opération qui créa l’État russe. Tel est son idéal ; tel devrait être ce gouvernement, un dur repos, une fixité forte, achetée aux dépens des meilleures manifestations de la vie.

Il n’est point tel. Pour continuer la comparaison, il est de ces glaces mai prises, qui contiennent au dedans des vides, des flaques d’eau, restée mobiles, qui trompent à tout moment. Sa fixité est très peu fixe, sa solidité incertaine.

L’âme russe, nous l’avons dit, n’a rien de ce qui, même dans l’esclavage, est nécessaire à la stabilité. C’est un élément plus qu’une humanité. Serrez, c’est presque en vain ; elle coule, elle échappe. Avec quoi serrez-vous ? avec une administration sans doute ; mais cette administration n’est pas plus morale que ceux qu’elle prétend régler. Le fonctionnaire n’a pas plus que le sujet la suite, le sérieux, la sûreté de caractère, les sentiments d’honneur, qui peuvent seuls rendre efficace l’action d’un gouvernement. Il est, comme tout autre, léger, fripon, avide. Si tous les sujets sont voleurs, les juges sont à vendre. Si le noble et le serf sont corrompus, l’employé l’est au moins autant. L’empereur sait parfaitement qu’on le vend, qu’on le vole, que le plus sûr de ses fonctionnaires ne tiendrait pas contre une centaine de roubles.

Ce pouvoir immense, terrible, qu’il transmet aux agents de ses volontés, que devient-il en route ? À chaque