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HISTOIRE DE FRANCE

aucun pèlerinage plus en vogue au moyen âge que celui de saint Thomas de Kenterbury. On dit qu’en une seule année il y vint plus de cent mille pèlerins. Selon une tradition, on aurait, en un an, offert jusqu’à 950 livres sterling à la chapelle de saint Thomas, tandis que l’autel de la Vierge ne reçut que quatre livres ; Dieu lui-même n’eut pas une offrande.

Thomas fut cher au peuple entre tous les saints du moyen âge, parce qu’il était peuple lui-même par sa naissance basse et obscure, par sa mère sarrasine et son père saxon. La vie mondaine qu’il avait menée d’abord, son amour des chiens, des chevaux, des faucons[1], ces goûts de jeunesse dont il ne guérit jamais bien, tout cela leur plaisait encore. Il conserva, sous l’habit de prêtre, une âme de chevalier, loyale et courageuse, et il n’en réprimait qu’avec peine les élans. Dans une des plus périlleuses circonstances de sa vie, lorsque les barons et les évêques d’Henri semblaient prêts à le mettre en pièces, l’un d’eux osa l’appeler traître ; il se retourna vivement et répliqua : « Si le caractère de mon ordre ne me le défendait, le lâche se repentirait de son insolence. »

Ce qu’il y eut de grand, de magnifique et de terrible dans la destinée de cet homme, c’est qu’il se trouva chargé, lui faible individu et sans secours, des intérêts de l’Église universelle, qui semblaient ceux du genre humain. Ce rôle, qui appartenait au pape, et

  1. Lorsque dans la suite il débarqua en France, il aperçut des jeunes gens dont l’un tenait un faucon, et ne put s’empêcher d’aller voir l’oiseau ; cela faillit le trahir.