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L’OR. — LE FISC. — LES TEMPLIERS

s’il eût porté sa charge de bois, il se dirigeait lentement vers l’odieuse maison, et il y restait longtemps à la porte avant de frapper. Le juif ayant ouvert avec précaution la petite grille, un dialogue s’engageait, étrange et difficile. Que disait le chrétien ? « Au nom de Dieu ! — Le juif l’a tué, ton Dieu. — Par pitié ! — Quel chrétien a jamais eu pitié du juif ? Ce ne sont pas des mots qu’il faut. Il faut un gage. — Que peut donner celui qui n’a rien ? Le juif lui dira doucement : Mon ami, conformément aux ordonnances du Roi, notre Sire, je ne prête ni sur habit sanglant, ni sur fer de charrue… Non, pour gage, je ne veux que vous-même. Je ne suis pas des vôtres, mon droit n’est pas le droit chrétien. C’est un droit plus antique (in partes secanto). Votre chair répondra. Sang pour or, comme vie pour vie. Une livre de votre chair, que je vais nourrir de mon argent, une livre seulement de votre belle chair[1] !… » L’or que prête le meurtrier du Fils de l’Homme ne peut être qu’un or meurtrier, anti-humain, anti-divin, ou, comme on disait dans ce temps-là, Anti-Christ[2]. Voilà l’or Anti-Christ comme Aristophane nous montrait tout à l’heure dans Plutus l’Anti-Jupiter.


Cet Anti-Christ, cet anti-dieu, doit dépouiller Dieu,

  1. Shakespeare, The Merchant of Venice, acte I, sc. iii : « Let the forfeit be nominated for an equal pound of your fair flesh, to be cut and taken, in what part of your body pleaseath me. » App. 44.
  2. J’insiste avec M. Beugnot sur ce point important : les juifs ne connurent pas l’usure aux dixième et onzième siècles, c’est-à-dire aux époques où on leur permit l’industrie (1860).