Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
DESTRUCTION DE L’ORDRE DU TEMPLE

tombait dans l’esprit des peuples, la religion, n’étant plus contenue dans les formes, se répandait en mysticisme[1].

Les Petits Frères (fraticelli) mettaient en commun les biens et les femmes. À l’aurore de l’âge de charité, disaient-ils, on ne pouvait rien garder pour soi. Dans l’Italie, où l’imagination est impatiente, au Piémont, pays d’énergie, ils entreprirent de fonder sur une montagne[2] la première cité vraiment fraternelle. Ils y soutinrent un siège, sous leur chef, le brave et éloquent Dulcino. Sans doute, il y avait quelque chose en cet homme : lorsqu’il fut pris et déchiré avec des tenailles ardentes, sa belle Margareta refusa tous les chevaliers qui voulaient la sauver en l’épousant, et aima mieux partager cet effroyable supplice.

Les femmes tiennent une grande place dans l’histoire de la religion à cette époque. Les grands saints sont des femmes : sainte Brigitte et sainte Catherine de Sienne. Les grands hérétiques sont aussi des femmes. En 1310, en 1315, on voit, selon le Continuateur de Nangis, des femmes d’Allemagne ou des Pays-Bas enseigner que l’âme anéantie dans l’amour du Créateur peut laisser faire le corps, sans plus s’en soucier. Déjà (1300) une Anglaise était venue en France, persuadée qu’elle était le Saint-Esprit incarné pour la

  1. Ceux qu’on avait nommés les priants (beghards) défendaient la prière comme inutile : « Où est l’esprit, disaient-ils, là est la liberté. » App. 91.
  2. Montagne appelée depuis Monte Gazari. Il y vint beaucoup de croisés de Verceil et de Novare, de toute la Lombardie, de Vienne, de Savoie, de Provence et de France. Des femmes se cotisèrent et envoyèrent cinq cents « balistarii » contre ces hérétiques. (Benv. d’Imola.)