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DESTRUCTION DE L’ORDRE DU TEMPLE

la force. Il n’avait pas même ici l’excuse du danger, la raison d’État, celle du Salus populi, qu’il inscrivait sur ses monnaies[1]. Non, il considéra la dénégation du grand maître comme un outrage personnel, une insulte à la royauté, tant compromise dans cette affaire. Il le frappa sans doute comme reum læsæ majestatis[2].

Maintenant comment expliquer les variations du grand maître et sa dénégation finale ? Ne semble-t-il pas que, par fidélité chevaleresque, par orgueil militaire, il ait couvert à tout prix l’honneur de l’ordre ? que la superbe du Temple se soit réveillée au dernier moment ? que le vieux chevalier laissé sur la brèche comme dernier défenseur ait voulu, au péril de son âme, rendre à jamais impossible le jugement de l’avenir sur cette obscure question ?

On peut dire aussi que les crimes reprochés à l’ordre étaient particuliers à telle province du Temple, à telle maison, que l’ordre en était innocent ; que Jacques Molay, après avoir avoué comme homme et par humilité, put nier comme grand maître.

Mais il y a autre chose à dire. Le principal chef d’accusation, le reniement[3], reposait sur une équivoque. Ils pouvaient avouer qu’ils avaient renié, sans

  1. Il y a des monnaies de Philippe-le-Bel qui représentent la Salutation angélique, avec cette légende : « Salus populi. »
  2. App. 97.
  3. Ce reniement fait penser aux mots : Offrez à Dieu votre incrédulité. — Dans toute initiation, le récipiendaire est présenté comme un vaurien, afin que l’initiation ait tout l’honneur de sa régénération morale. Voyez l’initiation des tonneliers allemands (notes de l’Introd. à l’Hist. univ.) : « Tout à l’heure, dit le parrain de l’apprenti, je vous amenais une peau de chèvre, un meurtrier de cerceaux, un gâte-bois, un batteur de pavés, traître aux maîtres et aux compagnons ; maintenant j’espère…, etc. » App. 98.