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HISTOIRE DE FRANCE

pris. Au retour seulement, comme j’allais d’York à Manchester, coupant l’île dans sa largeur, alors enfin j’eus une véritable intuition de l’Angleterre. C’était au matin, par un froid brouillard ; elle m’apparaissait non plus seulement environnée, mais couverte, noyée de l’Océan. Un pâle soleil colorait à peine moitié du paysage. Les maisons neuves en briques rouges auraient tranché durement sur le gazon vert, si la brume flottante n’eût pris soin d’harmoniser les teintes. Par-dessus les pâturages couverts de moutons, flambaient les rouges cheminées des usines. Pâturage, labourage, industrie, tout était là dans un étroit espace, l’un sur l’autre, nourri l’un par l’autre ; l’herbe vivant de brouillard, le mouton d’herbe, l’homme de sang.

Sous ce climat absorbant, l’homme, toujours affamé, ne peut vivre que par le travail. La nature l’y contraint. Mais il le lui rend bien ; il la fait travailler elle-même ; il la subjugue par le fer et le feu. Toute l’Angleterre halète de combat. L’homme en est comme effarouché. Voyez cette face rouge, cet air bizarre… On le croirait volontiers ivre. Mais sa tête et sa main sont fermes. Il n’est ivre que de sang et de force. Il se traite comme sa machine à vapeur, qu’il charge et nourrit à l’excès, pour en tirer tout ce qu’elle peut rendre d’action et de vitesse.

Au moyen âge, l’Anglais était à peu près ce qu’il est, trop nourri, poussé à l’action, et guerrier faute d’industrie.

L’Angleterre, déjà agricole, ne fabriquait pas encore.