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HISTOIRE DE FRANCE

Les nobles tragédies du quatorzième siècle ont leur partie comique. Dans les plus fiers chevaliers il y a du Falstaff. En France, en Italie, en Espagne, dans les beaux climats du Midi, les Anglais se montrent non moins gloutons que vaillants. C’est l’Hercule bouphage. Ils viennent, à la lettre, manger le pays. Mais, en représailles, ils sont vaincus par les fruits et les vins. Leurs princes meurent d’indigestion, leurs armées de dyssenterie.

Lisez après cela Froissart, ce Walter Scott du moyen âge ; suivez-le dans ses éternels récits d’aventures et d’apertises d’armes. Contemplez dans nos musées ces lourdes et brillantes armures du quatorzième siècle… Ne semble-t-il pas que ce soit la dépouille de Renaud ou de Roland ?… Ces épaisses cuirasses pourtant, ces forteresses mouvantes d’acier, font surtout honneur à la prudence de ceux qui s’en affublaient… Toutes les fois que la guerre devient métier et marchandises, les armes défensives s’alourdissent ainsi. Les marchands de Carthage, ceux de Palmyre, n’allaient pas autrement à la guerre[1].

Voilà l’étrange caractère de ce temps, guerrier et mercantile. L’histoire d’alors est épopée et conte, roman d’Arthur, farce de Pathelin. Toute l’époque est double et louche. Les contrastes dominent ; partout prose et poésie se démentant, se raillant l’une l’autre. Les deux siècles d’intervalle entre les songes de Dante et les songes de Shakespeare font eux-mêmes l’effet

  1. Pour Carthage, Voy. Plutarque, Vie de Timoléon. Pour Palmyre, ma Vie de Zénobie, Biogr. Univ.