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HISTOIRE DE FRANCE

sombres accès de mysticisme. La plus grande partie de ce pauvre peuple était depuis longtemps privée des sacrements de l’Église. Nos papes d’Avignon, pour faire plaisir au roi de France, froidement et de gaieté de cœur, avaient plongé l’Allemagne dans le désespoir. Tous les pays qui reconnaissaient Louis de Bavière étaient frappés de l’interdit. Plusieurs villes, particulièrement Strasbourg, restaient fidèles à leur empereur, même après sa mort, et souffraient toujours les effets de la sentence pontificale. Point de messe, point de viatique. La peste tua dans Strasbourg seize mille hommes, qui se crurent damnés. Les dominicains, qui avaient persisté quelque temps à faire le service divin, finirent par s’en aller comme les autres. Trois hommes seulement, trois mystiques, ne tinrent compte de l’interdit, et persistèrent à assister les mourants : le dominicain Tauler, l’augustin Thomas de Strasbourg et le chartreux Ludolph. C’était la grande époque des mystiques. Ludolph écrivait sa Vie du Christ, Tauler son Imitation de la pauvre vie de Jésus, Suso son livre des Neuf rochers. Tauler lui-même allait consulter dans la forêt de Soignes, près Louvain, le vieux Ruysbroek, le docteur extatique.

Mais l’extase dans le peuple, c’était fureur. Dans l’abandon où les laissait l’Église, dans leur mépris des prêtres[1], ils se passaient de sacrements ; ils mettaient à la place des mortifications sanglantes, des courses frénétiques. Des populations entières partirent, allèrent

  1. Johannes Vitoduranus.