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HISTOIRE DE FRANCE

mort ; une petite heure après, ils tournèrent, tournèrent et tournèrent ; ils étaient morts eux-mêmes… Ce n’étaient plus les amis qui portaient les corps sur leurs épaules, à l’église indiquée par le mourant. De pauvres compagnons, de misérables croque-morts portaient vite le corps à l’église voisine… beaucoup mouraient dans la rue ; d’autres tout seuls dans leur maison, mais on sentait les maisons des morts… Souvent on mit sur le même brancard la femme et le mari, le fils et le père… On avait fait de grandes fosses où l’on entassait les corps par centaines, comme les marchandises dans un vaisseau… Chacun portait à la main des herbes d’odeur forte. L’air n’était plus que puanteur de morts et de malades ou de médecines infectes… Oh ! que de belles maisons restèrent vides ! que de fortunes sans héritiers ! que de belles dames, d’aimables jeunes gens dînèrent le matin avec leurs amis, qui, le soir venant, s’en allèrent souper avec leurs aïeux !… »

Il y a dans tout le récit de Boccace quelque chose de plus triste que la mort, c’est le glacial égoïsme qui y est avoué. « Plusieurs, dit-il, s’enfermaient, se nourrissaient avec une extrême tempérance des aliments les plus exquis et des meilleurs vins, sans vouloir entendre aucune nouvelle des malades, se divertissant de musique ou d’autres choses, sans luxure toutefois. D’autres, au contraire, assuraient que la meilleure médecine, c’était de boire, d’aller chantant et de se moquer de tout. Ils le faisaient comme ils disaient, allant jour et nuit de maison en maison ; et cela d’autant plus aisément que chacun, n’espérant plus vivre, lais-