Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 3.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
L’ANGLETERRE. — PHILIPPE-DE-VALOIS

sait à l’abandon ce qu’il avait, aussi bien que soi-même ; les maisons étaient devenues communes. L’autorité des lois divines et humaines était comme perdue et dissoute, n’y ayant plus personne pour les faire observer… Plusieurs, par une pensée cruelle et peut-être plus prudente[1], disaient qu’il n’y avait remède que de fuir ; ne s’inquiétant plus que d’eux-mêmes, ils laissaient là leur ville, leurs maisons, leurs parents ; ils s’en allaient aux champs, comme si la colère de Dieu n’eût pu les précéder… Les gens de la campagne, attendant la mort, et peu soucieux de l’avenir, s’efforçaient, s’ingéniaient à consommer tout ce qu’ils avaient. Les bœufs, les ânes, les chèvres, les chiens même, abandonnés, s’en allaient dans les champs où les fruits de la terre restaient sur pied, et comme créatures raisonnables, quand ils étaient repus, ils revenaient sans berger le soir à la maison… À la ville, les parents ne se visitaient plus. L’épouvante était si forte au cœur des hommes, que la sœur abandonnait le frère, la femme le mari ; chose presque incroyable, les pères et mères évitaient de soigner leurs fils. Ce nombre infini de malades n’avait donc d’autres ressources que la pitié de leurs amis (et de tels amis, il n’y en eut guère), ou bien l’avarice des serviteurs ; encore ceux-ci étaient-ils gens grossiers, peu habitués à un tel service, et qui n’étaient guère bons qu’à voir quand le malade était mort. De cet abandon universel résulta une chose jusque-là inouïe, c’est qu’une femme malade, tant

  1. Matteo Villani blâme ceux qui se retirèrent.