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HISTOIRE DE FRANCE

entassaient à l’approche de l’ennemi. Les femmes, les enfants, y pourrissaient des semaines, des mois, pendant que les hommes allaient timidement au clocher voir si les gens de guerre s’éloignaient de la campagne.

Mais ils ne s’en allaient pas toujours assez vite pour que les pauvres gens pussent semer ou récolter. Ils avaient beau se réfugier sous la terre, la faim les y atteignait. Dans la Brie et le Beauvaisis surtout, il n’y avait plus de ressources[1]. Tout était gâté, détruit. Il ne restait plus rien que dans les châteaux. Le paysan, enragé de faim et de misère, força les châteaux, égorgea les nobles.

Jamais ceux-ci n’auraient voulu croire à une telle audace. Ils avaient ri tant de fois, quand on essayait d’armer ces populations simples et dociles, quand on les traînait à la guerre ! On appelait par dérision le paysan Jacques Bonhomme, comme nous appelons Jeanjeans nos conscrits[2]. Qui aurait craint de maltraiter des gens qui portaient si gauchement les armes ? C’était un dicton entre les nobles : « Oignez vilain, il vous poindra ; poignez vilain, il vous oindra[3]. »

Les Jacques payèrent à leurs seigneurs un arriéré de plusieurs siècles. Ce fut une vengeance de désespérés, de damnés. Dieu semblait avoir si complètement délaissé ce monde !… Ils n’égorgeaient pas seulement leurs seigneurs, mais tâchaient d’exterminer les

  1. « Dont un si cher temps vint en France, que on vendoit un tonnelet de harengs trente écus, et toutes autres choses à l’avenant, et mouroient les petites gens de faim, dont c’étoit grand’pitié ; et dura cette dureté et ce cher temps plus de quatre ans. » (Froissart.) App. 214.
  2. App. 215.
  3. App. 216.