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HISTOIRE DE FRANCE

nier coup brisa le vieux pape. Cet homme de quatre-vingt-six ans se mit à pleurer[1]. Cependant les portes craquent, les fenêtres se brisent, la foule pénètre. On menace, on outrage le vieillard. Il ne répond rien. On le somme d’abdiquer. « Voilà mon cou, voilà ma tête », dit-il.

Selon Villani, il aurait dit à l’approche de ses ennemis : « Trahi comme Jésus, je mourrai, mais je mourrai pape. » Et il aurait pris le manteau de saint Pierre, mis la couronne de Constantin sur sa tête, et pris dans sa main les clefs et la crosse.

On dit que Colonna frappa le vieillard à la joue de son gantelet de fer[2]. Nogaret lui adressa des paroles qui valaient un glaive : « O toi, chétif pape, confesse et regarde de monseigneur le roy de France la bonté qui tant loing est de toy son royaume, te garde par moy et défend[3]. » Le pape répondit avec courage : « Tu es de famille hérétique, c’est de toi que j’attends le martyre[4]. »

Colonna aurait volontiers tué Boniface ; l’homme de loi l’en empêcha[5]. Cette brusque mort l’eût trop compromis. Il ne fallait pas que le prisonnier mourût entre ses mains. Mais, d’autre part, il n’était guère possible de le mener jusqu’en France[6]. Boniface refusait de rien manger, craignant le poison. Ce refus dura trois jours, au bout desquels le peuple d’Anagni,

  1. Flevit amare.
  2. App. 35.
  3. Chron. de Saint-Denis.
  4. Dupuy.
  5. Lettres justificatives de Nogaret. (Dupuy.)
  6. Nogaret l’avait menacé de le faire conduire, lié et garrotté, à Lyon, où il serait jugé et déposé par le concile général. (Villani.)