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HISTOIRE DE FRANCE

comme eux, et prenant part aux offices de jour et de nuit. Une nuit donc qu’il allait aux matines, et qu’il traversait le dortoir, il vit, ou crut voir la Mort[1]. Cette vision fut confirmée par une autre ; il se croyait devant Dieu et prêt à subir son jugement. C’était un signe solennel qu’au lieu même où avait commencé son enfance, il fût ainsi averti de sa fin. Le prieur du couvent auquel il se confia, crut aussi qu’en effet il lui fallait songer à son âme et se préparer à bien mourir.

Ce ne fut pas une apparition moins sinistre qu’il eut bientôt au château de Beauté. Il y reçut une étrange visite, celle de Jean-sans-Peur. Il devait peu s’y attendre, un nouveau motif avait encore aigri leur haine. Les Liégeois ayant chassé leur évêque, jeune homme de vingt ans, qui voulait être évêque sans se faire prêtre[2], ils en avaient élu un autre, avec l’appui du duc d’Orléans et du pape d’Avignon. L’évêque chassé était justement le beau-frère du duc de Bourgogne. Si le duc d’Orléans, maître du Luxembourg, étendait encore son influence sur Liège, son rival allait avoir une guerre permanente chez lui, en Brabant, en Flandre ; la France lui échappait. Ce danger devait porter son exaspération au comble[3].

  1. Telle était la tradition du couvent. Les moines avaient fait peindre cette vision dans leur chapelle à côté de l’autel ; on y voyait la Mort tenant une faux à la main, et montrant au duc d’Orléans cette légende : « Juvenes ac senes rapio. » (Millin.)
  2. App. 83.
  3. Dans l’attente d’une guerre prochaine, il s’était assuré de l’alliance du duc de Lorraine (6 avril 1407), et il avait pris à son service le maréchal de Boucicaut. Boucicaut promet de le servir envers et contre tous, sauf le roi et ses enfants, « en mémoire de ce que le duc de Bourgogne lui a sauvé la vie, estant pris des Turcs ». (Fonds Baluze, 18 juillet 1407.)