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Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/150

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HISTOIRE DE FRANCE

Ce vice immense, profond, c’est l’orgueil. Cruelle maladie, mais qui n’en est pas moins leur principe de vie, l’explication de leurs contradictions, le secret de leurs actes. Chez eux, vertus et crimes, c’est presque toujours orgueil ; leurs ridicules aussi ne viennent que de là. Cet orgueil est prodigieusement sensible et douloureux ; ils en souffrent infiniment, et mettent encore de l’orgueil à cacher ces souffrances. Toutefois, elles se font jour ; la langue anglaise possède en propre les deux mots expressifs de disappointment et mortification[1].

Cette adoration de soi, ce culte intérieur de la créature pour elle-même, c’est le péché qui fit tomber Satan, la suprême impiété. Voilà pourquoi, avec tant de vertus humaines, avec ce sérieux, cette honnêteté extérieure, ce tour d’esprit biblique, nulle nation n’est plus loin de la grâce. C’est le seul peuple qui n’ait pu revendiquer l'Imitation de Jésus ; un Français pouvait écrire ce livre, un Allemand, un Italien, jamais un Anglais. De Shakespeare[2] à Milton, de Milton à Byron, leur belle et sombre littérature est sceptique, judaïque,

  1. Nous leur devons ces mots. Celui de mortification était, il est vrai, employé partout dans la langue ascétique ; il s’appliquait à la pénitence volontaire que fait le pécheur pour dompter la chair et apaiser Dieu ; ce qui est, je crois, anglais, c’est de l’avoir appliqué au souffrances très involontaires de la vanité, de l’avoir fait passer de la religion de Dieu à celle du moi humain.
  2. Je ne me rappelle pas avoir vu le nom de Dieu dans Shakespeare ; s’il y est, c’est bien rarement, par hasard et sans l’ombre d’un sentiment religieux. Le véritable héros de Milton, c’est Satan. Quant à Byron, il n’a pas trop repoussé le nom de chef de l’école satanique que lui donnaient ses ennemis ; ce pauvre grand homme, si cruellement torturé par l’orgueil, n’eût pas été fâché, ce semble, de passer pour le Diable en personne. Voy. mon Introduction à l’Histoire universelle, sur ce caractère de la littérature anglaise.